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Cinq destins de compositeurs juifs du XXe siècle par Amaury du Closel

Avec l'album Destins juifs, poursuit son travail de défense et de reconnaissance des compositeurs du XXᵉ siècle marqués par la Shoah. Il fait mouche avec la jeune soprano .

Si les œuvres proposées dans cet album ont été composées entre 1912 (le Pierrot Lunaire de ) et 1947 (les Huit chants populaires juifs de ) et dépassent donc les circonstances historiques de la persécution nazie, c'est bien la Shoah qui fait le lien entre les cinq compositeurs réunis ici. Elle a bouleversé leur destin, par l'enfermement, pour les uns l'exil, pour les autres la mort. Deux ont payé le prix ultime, et assassinés en 1944 à Auschwitz. , musicien allemand engagé politiquement auprès des communistes, a fui Berlin pour Paris en 1933. Il ne fut pas déporté par les nazis mais interné en 1939 par les autorités françaises avant d'être naturalisé français en 1947.

Dans la lignée de son engagement depuis 2003 avec son initiative des Voix Étouffées, remet en lumière ces compositeurs sinon oubliés, du moins méconnus. Et pourtant, elle est belle leur musique.

Qui connaît le Pierrot lunaire de , composé la même année 1912 que celui, fameux, d'Arnold Schoenberg ? Schoenberg le connaissait et ne dédaignait pas ce cycle plus court – 12 poèmes contre 21 – à l'esthétique certainement moins avant-gardiste, mais qui dégage un vrai parfum fin de siècle avec une pointe d'humour. Les deux Pierrot juxtaposés composeraient une belle affiche de concert !

Les Cuatro cánticas Sefardíes ou Quatre chants populaires judéo-espagnols de (1935-1936) en langue ladino (parlée dans les Balkans par les descendants des Juifs d'Espagne chassés en 1492 !), les Trois mélodies yiddish de (1944) et les Huit chants populaires juifs de (1947) ont en commun d'avoir été écrits en acte de résistance face à la volonté d'extermination, pour que la culture juive (re)vive. Ainsi vont les tentatives de négation et d'extermination, elles aboutissent à revivifier la culture qu'elles oppriment.

, choisit, elle, un autre moyen de se mettre debout et de nous mettre à genoux : l'extrême simplicité, la dignité, la pudeur. Pour bercer les enfants et qu'ils oublient le camp et leur destin. Quelle force d'âme dans cette douceur ! Il semble que des décennies après leur composition, on n'a pas fini d'apprécier la puissance de ces mélodies qui glissent comme de l'eau.

Dans ce généreux programme de 75 minutes, la soprano doit ainsi varier les styles, de la mélodie fin de siècle Mitteleuropa aux chansons populaires séfarades et yiddish, en concluant par les chansons universelles dépourvues de sophistication, émouvantes par le dépouillement. L'expression est toujours juste, jusqu'aux dernières paroles sans accompagnement qui closent le disque et nouent la gorge. C'est un disque qui par son éthique fait écho à l'album Terezín/Theresienstadt par Anne Sofie von Otter (DG). Un enregistrement qui n'apportera pas une gloire brillante à ses auteurs, mais qui durera.

Le livret avec les poèmes tous proposés en langue originale et traduits en français et en anglais est riche et indispensable.

Lire aussi :

Anne Sofie von Otter : Theresienstadt en allemand, Terezín en tchèque

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