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Martha Argerich raconte

À l'occasion des quatre vingts ans de , a réuni les différents entretiens que l'artiste lui a accordés. Déjà auteur de l'unique biographie qui lui est consacrée (, l'enfant et les sortilèges), le journaliste signe un document rare dans lequel nous découvrons la personnalité fascinante de la pianiste sous un angle nouveau.

De nombreux journalistes ont rêvé et même fantasmé une rencontre avec la « lionne du clavier » mais ont très vite renoncé car recueillir ne serait-ce que quelques mots de sa part relève de l'exploit. Le ton humoristique des premières pages fait mouche et le lecteur devient le témoin d'épisodes savoureux. Tout d'abord, à la Roque d'Anthéron, à l'été 2000, lors de la première rencontre, puis à Bruxelles, quatre ans plus tard. Nous suivons pas à pas les progrès effectués par le journaliste, les techniques d'approche, des stratagèmes parfois culottés et ingénieux pour obtenir le Saint Graal. Les rendez-vous sont souvent improbables et improvisés (dans le Thalys Bruxelles-Charles de Gaulle ou bien à deux heures du matin à Genève…) car la pianiste argentine est souvent là où on ne l'attend plus ! Notons aussi le difficile travail de mémorisation pour se souvenir de bribes de conversations lorsque la prise de notes est impossible.

La première partie du livre regroupe ainsi trois entretiens tandis que la seconde, intitulée Miscellanées, propose un panel de thèmes plus détaillés dont les « grands maîtres », les « collègues » ou encore le « public ». À travers ces entrevues, nous découvrons une en quête de spiritualité (une « Gémeaux ascendant Vierge ») qui se livre sans filtre, souvent avec une rare sincérité, selon l'humeur du moment et l'état d'esprit dans lequel elle se trouve. De ses débuts atypiques en passant par ses professeurs illustres dont Gulda, Michelangeli et Magaloff, ses œuvres de prédilection ou encore son rapport à l'instrument, elle évoque également les périodes difficiles marquées par la maladie et les deuils.

Beethoven est le compositeur qui lui procure de la joie. « Il m'électrise… il y a tout : la spiritualité, la vitalité, l'intelligence. Et son amour est d'un autre ordre, plus universel… » tandis que Schumann occupe une place à part dans son cœur. «… sa musique me touche très directement l'âme. C'est une musique d'une spontanéité et d'une pureté extraordinaires… La folie aussi, bien sûr et le changement rapide et fréquent de scènes, d'humeur… ». Ravel est celui qui est « très érotique » tandis que d'autres compositeurs comme Rachmaninov ou Brahms ne font pas partie de son « cercle d'intimes ».

Les passages consacrés aux souvenirs sont particulièrement réussis : le rôle de ses parents et le lien profond qui l'unissait à son frère, sans oublier ses nombreux amis musiciens. Ces amitiés rares qui ont permis des collaborations légendaires au plus haut niveau. La question du bonheur revient à plusieurs reprises l'obligeant à porter un regard extérieur sur sa vie.

Le magnifique mot de la fin revient à son éternel complice, le violoniste , disparu il y a près d'un an et qui est l'auteur du chapitre « Voilà Martha ! » : « Aucun cliché ne peut lui être appliqué. Sur scène, c'est une foudre pianistique. Dans la vie, elle est comme la reine des abeilles, elle est la lumière qui attire ».

Ce livre constitue une lecture de choix et pourra aussi bien intéresser les néophytes que les mélomanes et les inconditionnels de cette artiste de légende.

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