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Élégantes et tonifiantes lectures schubertiennes de René Jacobs

Un “opéra pour instruments” ? Voilà l'approche de à la tête de sa formation . Le troisième volume de son intégrale des symphonies de Schubert pétille d'intelligence et d'une musicalité que l'on n'avait pas entendue depuis Harnoncourt.

Les premières secondes de la Symphonie dite “Tragique” séduisent par leur caractère éminemment narratif et lyrique. On en oublie rapidement l'acoustique un peu sèche de la salle et on entre dans une lecture à la fois subtile et puissante, portée par des basses robustes. C'est le caractère imprévisible de ce premier romantisme schubertien qui surgit et provoque une étonnante relation avec l'univers berliozien. La rigueur rythmique et la justesse des équilibres sonores sont au service d'un tempérament dramatique. Nulle précipitation, toutefois, nulle dureté dans cette direction qui ne cède pas aux caprices si répandu chez les « baroqueux ». D'ailleurs, ce souci de clarté sinon de transparence nous fait regretter que les pupitres des violons n'aient pas été renforcés (7 dans les premiers et 7 dans les seconds). Il faut en effet soutenir des basses charnues ; elles s'affirment avec force dans un premier mouvement aux allures d'un Coriolan. L'Andante, aux contrastes extrêmes, se tourne davantage vers Haydn. Jacobs ne force aucun trait, jongle avec les ruptures de climats incessantes. Il va plus loin que les Brüggen, Immerseel et Goodman. Les pas de danse du Menuet respirent avec une certaine robustesse paysanne et une mise en place virtuose. Ils pressentent les scherzos de Bruckner. Un nouveau “bémol” : les bois se trouvent un peu en retrait et leurs jeux en écho (ce qui est typiquement viennois) pâli. Enfin, pour compléter ces analogies d'écritures, c'est à Mendelssohn que l'on songe dans le finale. montre à quel point cette musique apparaît comme essentielle dans l'évolution de la symphonie, entre le classicisme et le romantisme du milieu du XIXe siècle.

Pour ne pas quitter l'esprit de la scène lyrique, la Symphonie n° 5 s'ouvre par une sorte de lever de rideau. Le thème est d'un charme pastoral qui annonce l'élan des premières pièces symphoniques de Mendelssohn. À nouveau, nous aurions été comblés si la petite harmonie avait été davantage mise en valeur. Chaque idée musicale chante avec beaucoup de charme et les rythmes ne sont jamais forcés. Il est instructif de comparer ceux-ci avec les tempi beaucoup plus rapides des Böhm, Beecham, Erich Kleiber et Reiner qui disposaient, il est vrai, d'un nombre de pupitres autrement plus conséquent. Le souvenir de Mozart, cette fois-ci, éclaire le mouvement lent. en anime chaque phrase secondaire avec beaucoup d'esprit, évitant toute monotonie. Enfin, le Menuet et le Finale plus mozartiens que nature (on songe à la Symphonie n° 40) et chorégraphiés sans la moindre raideur sonnent avec un charme indéniable et sans la moindre baisse de tension.

Par bien des aspects, l'approche de René Jacobs nous rappelle, paradoxalement, la démarche d'un Sándor Végh et de sa Camerata Academica de Salzbourg – certes sur instruments modernes – mais dont l'intégrale Schubert du début des années 90 marqua les esprits. Depuis, il y eut Harnoncourt avec l'apport de formations plus conséquentes. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique.

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