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Fidelio express à l’Opéra Comique

Ce nouveau Fidelio était attendu depuis plus d'un an au moins pour deux raisons : , après la réussite de son Hamlet, allait-il passer avec succès le cap du second opéra ? Et quelle version, pour les débuts de Pygmalion dans Beethoven, allait-il donner du chef-d'œuvre ?


Le vent ne tournerait-il pas aujourd'hui quant à l'unique opéra de Beethoven ? Leonore perçant à nouveau sous Fidelio (enregistrement marquant de Gardiner en 1997), et avec le souvenir si présent du Requiem de Mozart aixois de 2019, gonflé aux rajouts par le fondateur de l', naissait, dans le cerveau des amoureux de l'opéra de Beethoven, l'idée folle que , pour cette nouvelle production, pencherait peut-être pour une représentation idéale qui combinerait les deux, une sorte de Leonore Fidelio donnant à entendre, pour les 250 ans de la naissance du compositeur, tout ce que ce dernier avait enfanté de musique entre 1805 et 1814 autour du scénario politico-amoureux de son unique opus lyrique. a effectivement eu cette idée lui aussi, qui aurait pu faire entendre les magnifiques numéros abandonnés à regrets par le compositeur après l'échec de la création de son opéra, avant de finalement se rabattre sagement, exception faite de la version longue du Quatuor du second Finale, sur la version définitive. La version de 1814 donc, celle laissée à la postérité par son auteur, donnée de surcroît sans entracte.

Une version express de deux heures donc, très certainement la plus rapide qu'il nous a été donné d'entendre. Une urgence seyant parfaitement à une intrigue où, comme l'on sait, urgence est le maître-mot. Les dialogues parlés sont abrégés quand ils ne sont pas incorporés à la partition : la Marche qui accompagne l'entrée de Pizarro voit ainsi son implacabilité accrue. Les timbales, militarisées, cadrent une lecture sous haute tension. Raphaël Pichon exige beaucoup des instruments d'époque de son orchestre Pygmalion. Un orchestre qui, au-delà des dégâts collatéraux qu'une telle option génère çà et là (les interventions systématiquement anxiogènes des cors !) passionne bien évidemment. Les oasis sont rares mais bouleversantes : l'apesanteur de Mir ist so wunderbar, ou encore, entre d'impressionnants silences, l'étirement jusqu'à l'imperceptible, des dernières mesures du grand air de Florestan. 

Autre urgence : , doublée en fosse à la première par Katherine Broderick, toujours pas rétablie pour la seconde, doit déléguer à nouveau sa Leonore, mais cette fois à ! Sur le plateau, joue en playback une partie scénique trop complexe pour pouvoir se dispenser de sa présence. Une décision fort opportune qui permet de ne pas délester de son sens une mise en scène inféodée à un arsenal vidéographique déjà tourné et/ou tourné en direct.

, dont le sous-texte social enrichit chacune des créations, déçoit pourtant avec une lecture étonnamment sage d'une œuvre qui semblait l'attendre. Il se contente de déplacer l'opéra le plus politique (et donc le plus transposable) du répertoire dans une prison à l'américaine : murs immaculés, tenues orangées des captifs, hurlements lointains de damnés, injection létale… Quelques bonnes idées augurent d'abord du meilleur : l'Ouverture décrit, sur sept panneaux vidéos, le quotidien pénitentiaire de Florestan, le travestissement de Léonore ; les panneaux, désolidarisables et assemblables à l'envi, se déplacent silencieusement comme des êtres vivants, se séparent très musicalement à l'image de protagonistes eux-mêmes divisés, se rejoignent en une surface géante de myriades d'écrans de caméras de surveillance. La première entrée de Pizarro est particulièrement réussie… Mais nombre d'autres n'atteignent pas leur cible : la kyrielle d'enfants mal dirigés surgissant, doudous en mains, au moment du Chœur des prisonniers, l'imposant praticable en gradins halé de cour, et dont on ne fait rien, le tas de vêtements militaires jetés scolairement au sol au moment de la liberté retrouvée… On sauvera tout de même le coup de théâtre de la seule trouvaille du spectacle : à la fin de Er sterbe ! Leonore s'empare de la caméra intrusive du vidéaste, jusque là omniprésent, et la braque sur Pizarro. Le pouvoir des images plus fort que celui des armes à feu.


Cette lecture express du chef-d'œuvre de Beethoven, assez classique, à l'opposé de la si originale version cosmique que Claus Guth avait conçue pour Salzbourg en 2015, ne profite pas davantage du Florestan solaire de . Le ténor, dont la silhouette est d'abord longuement dessinée par un judicieux contre-jour, voit ses qualités humaines corsetées par une conception scénique aussi intimidée. Ses qualités musicales trouvent en revanche chez Beethoven autant à briller que chez Berlioz. Il emprunte à Kaufmann, plutôt qu'à King ou Vickers, son anthologique Gott introductif en crescendo avant de laisser rayonner un Florestan entre lumière et humilité. On se demandait comment Mélisande et Pamina allaient devenir Leonore. De , on aura eu ce soir, pour seules réponses, et scrutés de près par une caméra-garde du corps, la crédibilité de la silhouette, la justesse émue du jeu, le beau regard mouillé par l'angoisse, le tout choyé par la Leonore pétrie d'humanité, et sans effort apparent, de , une Leonore même pas déstabilisée par les cors en folie censés l'accompagner. Gábor Bretz, comme toujours bloc émotionnel malgré lui, peaufine la noirceur du Pizarro esquissé l'an passé à Vienne avec Christoph Waltz. corse Marzelline plus qu'il n'est coutumier au fil d'un premier acte où, quasiment meneuse de jeu, on remarque plus que d'ordinaire un personnage doté d'une partie musicale tentée par l'adieu au singspiel. On retrouve en Jaquino la ligne claire, immédiatement identifiée, cet été, dans certain marin wagnérien aixois, de . Le Rocco d'Albert Dohmen est immense avec sa noirceur à la Alberich bien que, très curieusement, parfois absent. On se doutait bien que serait un Don Fernando de grande classe. Le Chœur Pygmalion (merveilleux soli de Constantin Goubet et René Ramos Premier) transforme en hymne à la joie ce Fidelio express à la griffe presque banale.

Crédits photographiques: © S. Brion

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