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Captivant duo de Thomas Adès et Pekka Kuusisto à la Fondation Vuitton

Dans un programme d'une grande cohérence consacré à la musique des XXᵉ et XXIᵉ siècles, le pianiste-compositeur anglais a formé avec le violoniste finlandais un duo qui n'a pas manqué de surprendre et de captiver.

Inséparables tout le temps du récital, les deux musiciens n'en sont pas moins deux personnalités dont les caractères opposés se complètent, se rencontrent et composent un « jeu des contraires » des plus étonnants qui, au bout du compte, trouve son équilibre sur une ligne de crête où l'un et l'autre se tiennent en parfaite intelligence. Ainsi l'inclassable et déconcertant violoniste ne tarit pas d'imagination et de fantaisie dans un programme qui les supporte et même les réclame, déployant un arsenal expressif que sa gestuelle accompagne explicitement. S'il fait figure d'électron libre, ce n'est qu'une apparence, tout à l'écoute du piano de qui offre à son inventivité un socle inébranlable. Le pianiste, d'une pondération et d'une constance à toute épreuve, semble le garant de la stabilité de l'édifice que constitue chaque œuvre. Face à un partenaire aussi original, il joue l'économie, la mesure. Il n'en est pas moins présent, son propos finement nuancé porté par des dynamiques subtilement dosées. 

 

L'alchimie se produit, pour commencer, dans la Sonate pour violon et piano de Leos Janáček, entre le toucher sans sécheresse et tout en rondeur du pianiste, et les sonorités spéciales de Kuusisto dont le jeu ne vise pas l'épanouissement de la projection sonore mais s'intéresse aux textures, à la variété des timbres. Le ton se veut caustique sous les sons abrasifs du violon dans l'univers mouvant du premier mouvement au lyrisme troublé par les trémolos inquiets du piano, puis, sous le fil des sons apurés de vibrato, poétique et tendre dans la Ballada, fantasque et rêveur dans l'Allegretto. Avec cette œuvre du compositeur tchèque, s'amorce une déclinaison sonore et expressive qui tisse ses correspondances d'une pièce à l'autre : cette économie de vibrato caractéristique par exemple, laissant place aux sons droits, étirés, dans les passages lents comme le Dithyrambe final du Duo Concertant pour violon et piano de Stravinsky, ou dans la fine ligne des aigus de l'Allegretto de la Sonate n° 2 pour violon et piano de , ainsi que dans la mélopée de la deuxième danse des Märchentänze de , commande de la Fondation Louis Vuitton, donnée en création mondiale. De même cette savoureuse nonchalance qu'elle traduit dans la contemplative troisième partie du Duo Concertant, ou encore mieux dans la paresseuse humeur du Blues ravélien, n'est dénuée ni d'esprit ni d'humour. Comme dans ce dernier, le violoniste transforme son instrument en banjo dans la danse d'Adès, où les sons mats des cordes grattées apparaissent sur le halo du piano. Le Perpetuum mobile de Ravel, d'une virtuosité étourdissante, fait lui écho à l'énergie de la quatrième danse des Märchentänze et son insaisissable rythme sur mesures inégales. Davantage encore, l'esprit joyeux de la danse, les formules répétitives et le contrepoint du Duo Concertant semblent avoir inspiré les quatre danses d'Adès, dont elles sont le miroir. Par leur écriture modale (Troisième danse) et leur contrepoint serré et continu faisant la richesse indéchiffrable de leurs harmonies, par l'obsession de ses thèmes, Adès donne à cette nouvelle œuvre émaillée de références (notamment celle folklorique) une couleur à la fois inédite et familière.

Un seul bis, mais bien choisi, le Tango de Stravinsky vient ponctuer idéalement le programme, donnant à cette soirée une dernière touche de belle humeur. 

Crédit photographique : Fondation Louis Vuitton © Gaël Cornier

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