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Une intégrale inédite et marquante des symphonies de Schubert par Harnoncourt

Cette troisième intégrale des symphonies de Schubert par a été captée en concert. Saisissante approche que celle du chef autrichien qui synthétise dans ce témoignage, la grandeur des grands schubertiens du passé et l'exploration « historiquement informée » d'une œuvre aussi déroutante que passionnante.

En 1992, soit quatre ans après cette intégrale avec le captée en concert, Harnoncourt livrait une approche profondément (et salutairement) dérangeante du cycle schubertien à la tête de l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam (Teldec). Deux orchestres aux traditions et sonorités totalement différentes. Puis, en concert, entre 2003 et 2006, le chef viennois renouvelait l'expérience, à la tête du Philharmonique de Berlin (BPR). Voici trois lectures fort différentes et dont la première, chronologiquement, parait pour la première fois, chez Ica Classics. La comparaison est d'autant plus instructive qu'Harnoncourt, en 1988, abordait ces symphonies avec le même dirigé, en 1987, par Claudio Abbado. En effet, le chef italien avait gravé pour Deutsche Grammophon, une lecture en studio qui fit sensation. En une année seulement, Harnoncourt expérimentait un Schubert éloigné de la conception “romantique” d'Abbado, encore largement imprégnée des lectures traditionnelles.

À l'écoute de l'orchestre d'Harnoncourt, il n'est plus question de préserver un phrasé et un legato prévisibles, mais de révéler, au même titre que dans l'intégrale Beethoven que le chef allait réaliser entre 1990 et 1994, ce que la musique de Schubert contient de profondément novateur. Le Schubert du chef viennois demeure profondément ancré dans les multiples influences qui traversent l'Europe centrale au début du 19e siècle. La musique est d'abord théâtre et chorégraphie. Ce sont des valses, des ländler, qui prennent forme sur des basses nettes, nourris aussi d'éclats de fanfares qui empruntent à la tradition des vents de Bohême. Les phrases sont gorgées de contrechants – comment ne pas songer aux dernières symphonies de Haydn ? – qui nécessitent la plus grande clarté. La définition des plans sonores se combine à une énergie sans cesse en éveil. Le finale de la Symphonie “Tragique”, le premier mouvement de la Symphonie n° 5 sont d'une exaltation et d'une précision enthousiasmantes. Harnoncourt possède une science extraordinaire des équilibres et il stimule les musiciens pour qu'ils prennent le maximum de risques. De la sorte, ses interprétations fusionnent les apports populaires (Symphonies n° 2 et n° 3) et la perception, chez Schubert, d'une esthétique en perpétuelle évolution. Nous sommes en concert – la voix du chef s'entend parfaitement – et le sentiment d'urgence (le finale de la Symphonie n° 5 !) s'impose jusque dans la brillance des cordes, le clinquant des timbales. Les timbres du saisissent l'auditeur dans le premier mouvement de l'Inachevée. La lecture sa caractérise à la fois par son énergie et un impact sonore irrésistible. Ne cherchons pas ici le souvenir des Giulini, Wand, Kleiber et Haitink… Harnoncourt traite un matériau brut et une harmonie à bien des égards, pré-wagnérienne. Pour autant, nulle sécheresse dans le discours, mais une quête permanente de l'architecture, une mise en valeur de l'infinité des nuances d'une musique aussi charnelle. Les fins de phrases et les silences sont éloquents alors que les contrastes dynamiques et rythmiques sont poussés à leur extrême limite. Aussi improbables que soient de telles comparaisons, on songe à Cantelli et Furtwängler, dans la Symphonie Inachevée, dont les climats d'une noirceur absolue et l'engagement de tous les instants ne sont pas si éloignés de la conception d'Harnoncourt.

S'il fallait choisir entre les trois intégrales, c'est sans nul doute vers le Concertgebouw que l'on se tournerait en premier puis vers les captations, en concert, du Chamber Orchestra of Europe. Avec le Philharmonique de Berlin, et malgré des passages d'une grande beauté, c'est un Schubert ancré dans une tradition trop attendue (et entendue), que nous découvrons. Toute juvénilité a disparu ainsi qu'une partie de la force dramatique de cette musique qui repose sur l'art du chant et, plus spécifiquement du lied.

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