- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Cordes démesurées à Clermont-Ferrand

Frottées, pincées, frappées, préparées… Les cordes sont à l'honneur de cette 23e édition du installé à Clermont-Ferrand durant trois semaines. 


Guitares et mandoline

Pour présenter en début de concert Nonsense movements pour guitare d' (né en 1970), le guitariste Rémi Jousselme insiste sur la longue tradition de compositeurs-guitaristes dans le répertoire de cet instrument, perpétué par ce premier compositeur, mais aussi par (né en 1983), tous deux à l'origine des deux créations de cette soirée. Pour la première œuvre, ce sont huit miniatures parfaitement caractérisées par des ambiances contrastées qui sont interprétées, d'une technicité un peu périlleuse pour une entrée en matière en solo du guitariste. Et alors que l'influence de Keith Jarrett y est affirmée, c'est le Portrait of Tracy de Jaco Pastorius qui est à l'origine du Portrait de Rita de . Pour ce trio de deux guitares et mandoline, le compositeur joue sur la matière sonore par le biais des harmoniques de ces cordes pincées, construisant son discours par une succession de notes harmoniques isolées, qui progressivement deviennent un tissu mélodique consistant, pour se transformer in fine en un véritable dialogue entre les instruments. Au début de cette œuvre, difficile d'identifier l'instrument qui intervient sans repère visuel, mais au fur et à mesure de cette démarche compositionnelle, chaque instrumentiste se caractérise vigoureusement telle une revendication identitaire musicale. Parfaitement lisible et personnelle, cette création mondiale marque particulièrement les esprits.

La programmation musicale propose également les deux Suites pour deux guitares d'Édith Canat de Chizy, influencées par Maurice Ohana et inspirées de deux poèmes de Federico Garcia Lorca. Pour Suite de l'eau comme pour Suite des miroirs, et Rémi Jousselme explorent la finesse du travail de la compositrice sur le timbre de leur instrument par des gestes amples, déployant ainsi l'émanation spatiale du son selon une flexibilité aléatoire – mais contrôlée ! – de la conduite du matériau tant recherchée par la compositrice qui formalise une pièce selon la sculpture du matériau brut. Avec à la mandoline, ce sont deux fiertés de Thérèse Brenet qui sont jouées ce soir, sans toutefois que l'instrumentation originale soit reprise – la version pour mandoline et guitare de Cristaux étant même annoncée comme une création mondiale – alors que l'association de la mandoline, de la harpe celtique et de la guitare produit un charme fortement défendu par la créatrice de ces pièces. La pièce de Tōru Takemitsu Wainscot Pond, extraite de l'œuvre In the Woods, et l'Etude de percussions n° 1 pour guitare d'Artur Kampela, permettent d'entendre en une heure et quart de concert, un large panel des propositions compositionnelles contemporaines dédiées à ces instruments à cordes pincées.

Harpe et orchestre à cordes

Portée par un Orchestre national d'Auvergne précis et généreux sous la baguette ce soir de qui a obtenu le premier prix du premier concours de cheffes d'orchestre La Maestra en 2020, et par la harpiste Valeria Kafelnikov alliant maîtrise technique et sensibilité, la création de , Mondesflecten, joue pleinement le jeu de la recherche de sons inhabituels, que ce soit au niveau de la pression de la main gauche et de coups d'archet inaccoutumés pour l'orchestre à cordes, que pour la variété sonore de la harpe avec archet, tube métallique et jeu de pédales. C'est donc non par le biais d'un « discours » que explore une certaine poésie, mais grâce à des jeux innovants générant des sonorités novatrices. Démarche très différente donc de celle de présentée en début de concert avec Postcards from the sky pour orchestre à cordes, l'effet de contraste étant judicieux pour mettre en lumière les caractéristiques de ces deux écritures. La programmation musicale de la soirée n'hésite également pas à faire voyager l'auditeur autant dans le monde tonal qu'atonal avec ces deux œuvres, mais aussi dans l'univers modal de avec ses Danses sacrée et profane pour harpe et orchestre à cordes.


L'influence de Bach dans l'œuvre de fait également écho à l'inspiration de dans Conversions autour de L'Offrande Musicale, objet de diverses « conversions » dans ces quinze minutes de musique. et son Duet pour deux violons et orchestre à cordes clôturent la soirée, offrant aux spectateurs une programmation riche et variée autour de cet instrumentarium de la harpe et de l'orchestre à cordes.

Concerto de chambre commenté par

Le directeur musical de l', , se lance dans un exercice difficile, même si son sens de la pédagogie et de la transmission est ancré dans son parcours musical en tant qu'ancien directeur du CNSMDP. Comment faire vibrer le Kammerkonzert de György Ligeti tout en le décryptant en direct ? C'est avec naturel et un brin d'humour que le chef d'orchestre fait participer le public venu nombreux à ce « concert commenté », l'interactivité entre le plateau et la salle permettant une ambiance relâchée et décomplexée.

et les instrumentistes de l' donnent ainsi les principales clés de compréhension de ce pilier de la langue maternelle de tout compositeur contemporain, présentant avant toute chose l'originalité de la composition de cet orchestre « par un » avec la présence de l'orgue électronique, du célesta et du clavecin, le rôle de soliste passant de pupitre à pupitre. Une définition collective du langage de Ligeti est ensuite lancée : « vaguement » mélodique, « vaguement » rythmique, mais certainement pas régulier quand on parle du tempo ! L'écoute se construit donc autour de la présentation des deux « révolutions musicales » qui composent cette œuvre.

Pour la première, avec les cinq premières mesures de la partition, Bruno Mantovani illustre l'approche du « sens » en musique. C'est avec un exercice ludique, soit le récit par la violoncelliste de son petit déjeuner, et celui de la violoniste de l'EOC de ces dernières vacances d'été, qu'il est démontré la perte de sens lorsque les deux récits se superposent et se confondent. Mais lorsque le même exercice est mené par la flûte et la clarinette, les deux discours ne se superposent plus, ils se complètent pour une seule raison : l'harmonie.

Pour la seconde révolution, les trois autres mouvements de la partition sont détaillés afin de mettre en exergue le travail de Ligeti sur la texture sonore, et cela même si le premier mouvement est le « réservoir des idées » de toute la suite : dans la musique contemporaine, nous ne sommes plus en effet sur une « écriture de notes » mais une « écriture de sons » résume Bruno Mantovani. S'enchaînent donc les « nuages sonores » qui passent des claviers aux cordes, les ajouts progressifs d'instruments pour densifier cette texture, l'accord de lumière en unisson et octaves, le « timbre de synthèse » proche des premiers synthétiseurs de l'époque avec l'orchestre et l'orgue. Le passage éthéré du deuxième mouvement avec la clarinette donne l'occasion d'expliquer le rôle du chef d'orchestre qui contribue à cette souplesse de l'attente (une souplesse qui n'est pas sans articulation !), pour ensuite la satisfaire par une texture dense, violente et verticale. Qualifié ici d' « architecte », Ligeti va aller au paroxysme de la superposition avec les notes répétées de son troisième mouvement, arrivant finalement à une texture inédite des deux clarinettes dans le quatrième mouvement. La complémentarité de ces textures s'éloigne dans l'ambitus pour se densifier jusqu'à saturation. Exercice périlleux mais réussi pour l'EOC et Bruno Mantovani.

Crédits photographiques : ©

(Visited 576 times, 1 visits today)