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Enivrant Bajazet de Vivaldi à Nuremberg

Une distribution cohérente et bien préparée rend justice à des airs tous plus beaux et plus périlleux les uns que les autres.

On connaît le Bajazet de Vivaldi surtout depuis l'enregistrement dirigé par Fabio Biondi il y a une quinzaine d'années, avec une distribution exceptionnelle à la hauteur des défis posés par la partition aux chanteurs. L'œuvre est un pastiche : Vivaldi en a fait une sorte d'anthologie des airs les plus riches et les plus flatteurs pour les chanteurs, aux côtés d'extraits de ses propres opéras, et la virtuosité la plus effrénée y est plus à l'œuvre que le souci de la cohérence ou du théâtre.

Pour une maison comme Nuremberg, une telle œuvre est un défi considérable : comment trouver une chanteuse capable de prendre la suite de Farinelli dans le terrible Qual guerrier de , frère de la star des castrats ? L'heureuse élue est , toute jeune soprano membre de la troupe, qui a déjà une réelle expérience du répertoire baroque. On la remercierait déjà de réussir à sauver l'essentiel, mais elle fait bien mieux que cela : elle vocalise avec sûreté et précision, ne sacrifie jamais ni le rythme ni la couleur, et par dessus le marché n'en oublie pas de jouer son rôle.

Dans ces conditions, la sévérité n'est pas de mise au sujet de la mise en scène. Nina Russi prend au sérieux les affrontements de pouvoir entre Bajazet, Tamerlan et les autres, non sans se montrer sensible à l'humour discret qui n'est pas absent de l'œuvre – la belle caractérisation du personnage d'Asteria, adolescente punk qui se déguise avec une gourmandise ironique en princesse. Sa mise en scène transpose dans un cadre contemporain les conflits du livret ; elle ne parvient pas à créer une véritable tension dramatique, de véritables émotions, mais l'œuvre ne le lui permet pas vraiment, et son travail a au moins une fluidité et une variété qui accompagne efficacement le défilé des airs.

Le grand mérite de la soirée est donc musical. Les chanteurs méritent de grands éloges, mais il serait injuste de ne pas commencer par louer le maître d'œuvre, , qui a beaucoup fait pour la musique baroque en Allemagne. Bien sûr, l'orchestre n'a pas la richesse sonore des ensembles spécialisés, mais Katschner ne le laisse pas s'alanguir : il y a beaucoup d'énergie dans sa direction, mais aussi un grand sens de la rhétorique propre à l'opera seria, qui évite les contrastes inutiles et les effets censés « animer » les répétitions propres au genre.

Mais son plus grand mérite n'est pas son travail en fosse le jour de la représentation : l'homogénéité de la distribution montre bien la qualité du travail de préparation qu'il a dirigé, pour permettre aux chanteurs d'affronter sans trembler les difficultés de leurs rôles ; non seulement il a eu le bon goût (et la possibilité) de ne pas charcuter la partition, mais il a su également assurer tout le travail d'ornementation des reprises, tout aussi indispensable dans l'esthétique du genre. On peut toujours discuter des détails, mais l'ensemble est stylistiquement convaincant, dramatiquement pertinent et adapté aux voix qu'il a à sa disposition ; on ne peut pas discuter les récitatifs, remarquablement vivants et dramatiques.

Outre , la soirée est décidément le triomphe des dames. Florian Götz est certainement efficace et virtuose en Bajazet lisant Gramsci, mais on aimerait un peu plus de nuances ; est chez lui dans ce répertoire, mais les voix de ces dames ont tout de même plus de consistance et d'énergie que ce que lui permet son timbre de contre-ténor. Maria Ladurner en Idaspe est la seule de ces dames qui laisse voir la difficulté de l'entreprise ; mais on ne sait qui préférer de Nian Wang en Andronico ou d'Almerija Delic en Asteria. L'opera seria vivait de la hiérarchie implacable entre primo et secondo uomo, prima et seconda donna : ici, devant cette grande réussite musicale qui rend heureux, de telles hiérarchies sont bannies.

Crédit photographique : © Bettina Stöß

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