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Trois contre-ténors à Versailles

Plus qu'un concours de virtuosité, cet album nous offre un moment d'intimité musical dans un cadre enchanteur du Château de Versailles.

Passons sur le titre quelque peu accrocheur du produit, qui voudrait nous rappeler les redoutables concerts Pavarotti-Domingo-Carreras d'antan, manifestations grand-public dont l'intérêt médiatique ou sociologique dépassait de loin le domaine véritablement musical. Oublions également le sous-titre assez malheureux de « concours de virtuosité de castrats ». Nos trois artistes, qui se sont effectivement fait une spécialité du répertoire écrit à l'intention de ces chanteurs du passé, font preuve du plus grand professionnalisme musical et ils savent, comme l'atteste le DVD joint à l'album, chanter ensemble pour les duos et les trios, et s'écouter avec respect et intérêt lors de leurs solos respectifs. Constatons au passage que, après l'inénarrable parodie d'Andreas Scholl, Dominique Visse et Pascal Bertin en 1995 et les cinq contreténors réunis en 2015 par Max Emanuel Cenčić, nos phénomènes vocaux sont de nouveau au nombre de trois. On s'en réjouira d'autant plus que les timbres et les tessitures sont extrêmement différents d'un chanteur à l'autre. Rien en commun, en effet, entre l'alto cuivré de et le soprano un rien strident de , à côté de qui , dont le timbre clair et cristallin l'a parfois fait endosser des rôles de soprano, est présenté comme un mezzo-soprano.

Visiblement, si l'on se fie aux choix de la programmation, c'est qui cherche le plus à en imposer par la vélocité de ses vocalises. Deux airs rapides, dont le désormais célébrissime « Vo solcando un mar crudele » d'Artaserse qui avait autrefois fait le premier grand triomphe français de Franco Fagioli. Audace ou inconscience ? Le jeune Vénézuélien ne dispose pas de l'onctuosité de timbre de son aîné, et l'on ne sait de ce qu'on dirait de ses suraigus s'ils avaient été émis par une femme… On salue toutefois la performance. , un des rescapés du CD de Cenčić tout juste évoqué, est un des rares contreténors à pouvoir aborder sur scène le rôle-titre de Serse dans la tonalité originale, mais il ne dispose pas de la puissance vocale qui lui permettrait d'être totalement convaincant pour « Crude furie ». Il est beaucoup plus à son avantage dans le « Lascia la spina » du Trionfo del tempo e del disinganno qui lui permet de faire miroiter avec une musicalité raffinée la pureté cristalline de son timbre. , comme à son habitude, œuvre davantage à la recherche de l'expressivité musicale qu'à la précision de ses vocalises. Il n'en impressionne pas moins dans la virtuosité de l'air de Hasse, tout en restant préférable dans l'« Alto Giove » du Polifemo de Porpora. Dans les ensembles vocaux, c'est lui aussi qui se détache pour la recherche de couleurs vocales et pour l'expressivité théâtrale. Le CD s'achève avec une curieuse adaptation jazzy du « Sound the trumpet » – une nouvelle mode, apparemment – et une encore plus étonnante transposition, pour trois voix, du duo final du Couronnement de Poppée. L'incongruité d'une telle réécriture n'enlève rien à l'intensité de l'érotisme dégagé par cette musique.

En conclusion on conseillera presque aux auditeurs de préférer le DVD joint à l'album. Non seulement l'on goûtera les beautés de la Galerie des Glaces du château de Versailles, magnifiquement filmée, mais l'agencement du programme paraît bien plus pertinent que celui du CD. Quel plaisir également d'observer, dans ce cadre magique, la complicité bienveillante des musiciens de l'Orchestre de l'Opéra Royal, conduit depuis son violon par le chef . Bref, bien plus qu'un concours de virtuosité, un moment d'intimité musicale comme on les aime, et comme on en a besoin.

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