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Lawrence Brownlee à Strasbourg pour un récital très intéressant

Il n'est plus besoin de décrire les qualités exceptionnelles du ténor américain. Mais le public français ne le connaissait pas forcément comme un défenseur d'un répertoire peu connu, et c'est un programme très « select », taillé sur mesure, que a offert au public strasbourgeois.

La soirée commence sans surprise avec des mélodies et airs de Bellini, qui permettent au chanteur de s'échauffer un peu, d'assouplir un vibrato un petit peu serré, et de regagner très vite sa vaillance de ténor colorature (brillant air de Il Pirata). Donizetti le trouve ainsi dans une forme éblouissante, le timbre solaire au zénith, et la ligne bien souple. ne fait qu'une bouchée du joyeux Me voglio et du pétulant Allegro io son avec force vocalises et notes aiguës déconcertantes de facilité. Les sonnets de Pétrarque de Liszt sont souvent chantés par des habitués des Lieder ou mélodies. Mais avec une lecture au premier degré, simplement naturelle, virile, et amoureuse, notre ténor belcantiste réussit pleinement son coup. La beauté de la ligne et la chaleur du timbre suffisent pour valoriser ces morceaux de bravoure, avec encore le soutien expert du pianiste . Les diverses mélodies de Sibella, Buzzi-Peccia et Denza nous emmènent progressivement vers le XXᵉ siècle. Elles sont peu connues, mais ravissent le public, en continuant l'esthétique des chansons napolitaines, amoureuses ou espiègles, toujours pleines de soleil et de séduction. De cet ensemble charmeur, relevons la chanson Lolita de Buzzi-Peccia, pleine d'un lyrisme tendre à la limite de la mélancolie, où fait valoir un souffle d'une longueur impressionnante et des nuances très bien menées.

Les « songs » de marquent cependant une petite limite à tous ces talents. Certes, on est heureux de découvrir des pièces d'une très haute qualité, et même d'une beauté exceptionnelle (superbe I Would in That Sweet Bosom Be), et les textes remarquables de W.B Yeats et de J. Joyce sont correctement articulés. Mais avec ces morceaux-là, on arrive dans un répertoire qui est proche de celui des Lieder, et qui demande une capacité à dire les mots, à les habiter, au-delà de la seule sensualité vocale. De surcroit, si Lawrence Brownlee dispose d'une voix riche de couleurs, il n'a pas beaucoup de facilité à en jouer, à les iriser selon le sens du poème qui se superpose aux notes.

Avec les Gospels et Spirituals, Lawrence Brownlee retrouve un répertoire où sa magnifique santé vocale joue pleinement son rôle, avec une immédiateté jubilatoire, des phrasés réellement sublimes et des vocalises qui rappellent inévitablement la regrettée Jessye Norman. Le brillant de l'accompagnement pianistique contribue à magnifier ces Spirituals. Guiio Zappa – routier expérimenté dans l'accompagnement des plus grands ténors – sait soutenir ses partenaires, leur donner un peu d'air quand il le faut, et surtout dérouler sous leur voix un tapis d'un lyrisme magnifique, sincère et non ampoulé. Triomphe, donc, pour nos deux artistes, d'autant plus chaleureux que Lawrence Brownlee, n'ayant pas pu cacher une bouffée d'émotion après une mauvaise nouvelle personnelle – au point de devoir quitter la salle – a su la surmonter et reprendre le cours du concert. Après cette démonstration de courage et de fidélité, le public lui fait une standing ovation (fait rarissime à Strasbourg…), à laquelle le gentleman-ténor répond par des bis pris parmi les plus beaux airs de son répertoire : Una furtiva lagrima, et même Ha mes amis quel jour de fête avec ses neuf contre-uts, chantés si facilement qu'ils semblent faire partie de sa respiration naturelle. Une soirée toujours séduisante, souvent captivante, et même humainement émouvante.

Crédit photographique © Shervin Lainez

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