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Katharina Konradi et Anna Prohaska, grandes voix berlinoises

L'une chante un classique récital de Lied, l'autre invente un nouveau programme à son image, mais l'enthousiasme est le même.

Rendre hommage à Mendelssohn, qui peut être contre ? L'image de compositeur superficiel et agréable, longtemps présente chez les mélomanes français, est heureusement largement dissipée ; la Boulezsaal de Berlin présente deux concerts sous la houlette d' pour l'approcher sans avoir peur des chemins de traverse. Pour le second concert, on entend des raretés de sa production de chambre, quelques Lieder, mais aussi des œuvres de sa sœur -Hensel. Avouons-le, les deux pièces de concert de Felix pour piano, clarinette et cor de basset qui finissent le concert ne sont que d'aimables divertissements, pleins d'humour et de vivacité : l'interprétation par et Karl-Heinz Steffens leur rend justice, mais n'en fait pas des révélations. La pièce la plus originale du concert est sans conteste le trio pour piano et cordes de Fanny, une œuvre ambitieuse au ton éminemment personnel ; hélas, les musiciens qui l'interprètent pour ce concert ne donnent pas l'impression d'avoir poussé à son terme leurs répétitions, et il mérite des avocats plus engagés.

Heureusement, l'épine dorsale du concert est constituée d'une généreuse sélection de Lieder, le grand modèle Mozart précédant les œuvres des Mendelssohn ; Mojca Erdman ayant dû déclarer forfait, c'est sa jeune consœur qui a dû en peu de temps concocter avec un programme de substitution : cela se ressent sur un accompagnement souvent brouillon, mais heureusement pas sur l'interprétation de la chanteuse, à la voix naturelle et chaleureuse. Il y a une grande fraîcheur non sans émotion dans ses interprétations, aussi bien des plus connus des Lieder de Mozart, Abendempfindung par exemple, que des raretés de ; le texte et la musique vont de pair, en toute fluidité, grâce à une diction parfaite et une gestion précise des consonnes, assez présentes pour assurer l'intelligibilité des poèmes, mais jamais trop pour venir gêner la musique. Il y a là une vraie vocation pour le Lied ; elle mérite sans doute aussi le succès à l'opéra, mais il serait bien dommage qu'un tel talent ne soit pas exploité dans ce genre toujours aussi précieux même s'il n'est plus assez à la mode.

et les sorcières inspirées

Autre ambiance le soir dans la Salle de Musique de Chambre de la Philharmonie. est la reine d'une soirée programmée aux Festwochen de septembre, mais reportée sans rapport avec la pandémie en cours. L'espace biscornu et trop grand de la salle est ingrat, et il faut des personnalités d'exception pour réussir à l'habiter. Avec un programme d'une folle originalité dominé par deux créations de et , trois musiciens seulement y parviennent. Le titre du concert, ENDOR, fait référence à une figure de l'ancien testament, la sorcière qui invoque l'ombre de Samuel à la demande du vieux roi Saul, à qui elle annonce sa mort. Elle est directement présente dans certaines pièces du programme, à commencer par son air du Saul de Haendel ; pour le reste, les liens sont plus indirects, avec d'autres magiciennes haendeliennes par exemple, mais l'atmosphère magique et vaguement inquiétante de l'ensemble du concert montre bien l'intérêt de ce genre de concerts thématiques.

L'ensemble, cela dit, n'est pas exempt de critiques : le clavecin pétaradant de dans l'adaptation de l'air Vo' far guerra de Haendel (Rinaldo) en vient à couvrir la voix, et la Marche des Scythes de Royer en devient purement percussive – il est vrai que l'instrument moderne choisi n'est pas d'une grande subtilité. Le concert spirituel de manque lui aussi un peu de sens du style si particulier de cette musique allemande du XVIIᵉ siècle. Les autres airs de Haendel cependant, notamment un formidable Credete al mio dolor (Alcina), l'émouvante Pavana Lachrymae de Scheidemann, et même les deux mélodies de Tavener qui ouvrent chaque partie du concert se révèlent porteurs d'une intense émotion, renforcée par une mise en scène et en lumières simple mais efficace.

Des deux créations du programme, c'est sans hésiter celle de qui remporte nos suffrages. La création de Widmann est éminemment divertissante, et s'achève d'ailleurs avec des vocalises endiablées qui rappellent directement le Glitter and be gay du Candide de Bernstein. Elle est une réinterprétation de la scène la plus réussie de son opéra Babylon – nous avions remarqué lors de la création qu'elle méritait bien d'avoir sa vie propre, et c'est donc chose faite. Innana vient convaincre la Mort de lui rendre son grand amour – la Mort, Sœur Mort, est marmonnée par , jusqu'au triomphe final où il-elle se laisse entraîner à la folie.

La création de Rihm, qui donne directement la parole à la Sorcière d'Endor (via un texte de Botho Strauss lui-même inspiré d'un psaume), est plus directement intéressant, parce que plus ambigu, plus tendu, plus possédé : l'appel à Dieu de la sorcière maudite est enregistrée par la voix comme par le violoncelle de à la façon de deux sismographes disjoints – ce qui dit la voix n'est jamais tout à fait ce que voudrait dire le cœur, et la tension que suscite cet écart n'a pas besoin de grands gestes pour saisir l'auditeur. Une œuvre expressive, simple dans ses moyens visibles, mais d'une grande puissance, qui vient rappeler pourquoi Rihm reste aujourd'hui encore un compositeur majeur de notre temps.

Crédits photographiques : © Peter Hundert ; concert ENDOR © Philippe Rebosz / Musikfest Berlin

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