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À Genève, Juan Diego Flórez du fond de l’âme

Le balcon des grandes orgues croulant sous une profusion de roses blanches, le Victoria Hall rempli à ras bord, tout était prévu pour que le concert de l'An des Amis de l' avec à l'affiche soit une réussite.


Un programme alléchant de pages bien connues du monde lyrique, un au grand complet, un chef de renom et surtout, surtout le ténor dans une forme éblouissante. L'Ouverture du Barbiere di Siviglia ouvre les feux. Comme un tour de chauffe, l' semble pourtant retenu. Il manque de l'italianité pétillante qu'on attend avec Rossini. Le tempo, peut-être un peu trop lent et la masse de l'orchestre trop grande freinent l'expressivité enjouée de cette musique. Mais dès les premières notes de la romance « Deh ! Tu m'assisti amore » tiré de Il signor Bruschino, la voix envahit l'espace d'un lyrisme exacerbé. Le miracle Flórez opère, variant l'intensité, lissant les phrases, modulant la mélodie avec un légato magnifique. Malgré l'ambiance aérienne que le chant génère, la direction de ne réussit pas à sortir l'Orchestre de la Suisse Romande de son indolence. Confondant romance avec berceuse, le chef dirige la cantilène « Une furtiva lagrima » tiré de L'Elisir d'amore de Donizetti avec un tempo lancinant mettant le chanteur en danger sur la respiration ralentie. Las, fort de sa technique vocale impeccable se sort magnifiquement de ce piège.

On espère que les musiques de Franz Lehár vont enfin dérider l'orchestre et son chef mais la finesse viennoise attendue n'est pas au rendez-vous. Que ces accompagnements orchestraux manquent d'esprit ! Prudent, le ténor s'est petit à petit replacé entre le chef et l'orchestre pour qu'il puisse discrètement, de ses mouvements, de ses bras ou du regard, indiquer ses désirs de ralentir, voir d'accélérer le tempo.

Avec la musique française de Bizet, de Lalo et de Massenet, l'orchestre apparaît plus à l'aise. On déguste alors la finesse avec laquelle le ténor chante « Vainement, ma bien aimée » de Le Roi d'Ys de Edouard Lalo, offrant au passage une entame de l'air sur un mezza-voce sublimé. On se souviendra aussi de son admirable « Pourquoi me réveiller » du Werther de Jules Massenet avec le contraste mesuré des pianissimi et des forte.

On s'achemine vers la fin du récital quand , acclamé, rappelé offre plus de vingt-cinq minutes de bis. S'accompagnant à la guitare, c'est un second concert qui débute. Les bis s'enchaînent avec une joie de chanter qui amène le public à son paroxysme. Totalement libéré des contraintes du récital, le ténor invite à chanter avec lui le refrain de Guantanamera, mélodie populaire de José Fernández Díaz (1908-1979). Dans cette communion musicale, le public s'applaudit lui-même. Le calme retrouvé, le ténor entonne La Paloma de Sebastian Iradier (1809-1865) dont il offre une version toute en douceur avec un public à l'écoute intense. En confiance, Juan Diego Flórez agrémente cette mélopée d'une longue, très longue note filée qui ne semble jamais vouloir s'éteindre. Le public n'y tient plus. Debout, il ovationne le chanteur qui, sans attendre, livre encore un éclatant Torna a Surriento de Ernesto de Curti (1875-1937). On se dit qu'il a tout donné. Sur l'avant-scène, oubliant le chef et l'orchestre, il envoie un air à capella pour les fans sud-américains présents au concert. Un délire d'applaudissements rappelle le chanteur qui s'est éclipsé quelques instants en coulisse. De retour, il distribue des baisers à la foule, se frappe la poitrine en signe de remerciements, sourit, heureux, comblé de ce qu'il reçoit. Cette fois, on se dit que c'est fini ! Eh bien non. Accompagné par l'Orchestre de la Suisse Romande, c'est « Nessun dorma » de Turandot de Puccini que Juan Diego Flórez donne sans un seul accroc pour clore en apothéose un concert que les Genevois ne sont pas prêts d'oublier.

Comme à Luxembourg il y a quelques semaines, c'est un ténor au sommet de son art que Genève a entendu. En totale maîtrise de son instrument qu'il sollicite à merveille pour ciseler son chant, sa voix claire, souple, cristalline, sa diction parfaite est un régal. La joie qu'il procure au public, il la partage, la ressent en lui-même. S'emparant de ses cantilènes avec une implication artistique bouleversante, la grâce du bel canto l'a enveloppé, recouvert pendant ces deux heures de concert.

Crédit photographique : © Nicolas Lieber

Liste des bis : Catarì ou Core ‘ngrato, (Salvatore Cardillo (1874-1947), Auld Lang Syne (chanson traditionnelle écossaise), Guantanamera (José Fernández Díaz (1908-1979), La Paloma (Sebastian Iradier (1809-1865), Torna a Surriento (Ernesto de Curti(1875-1937), + une chanson péruvienne à capella, Nessun dorma (Turandot –Giacomo Puccini (1858-1924).

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