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À la Philharmonie, les émouvants Schubert et Schumann d’Arcadi Volodos

, de retour en récital à la Philharmonie de Paris dans la saison Piano ****, met en miroir des œuvres de Schubert et Schumann, entre fougue et rêverie.


Le pas tranquille, se dirige vers le piano, sous les regards à 360 degrés du public emplissant la salle Pierre Boulez. est d'une sérénité inébranlable. Le temps et le silence sont les dimensions qu'il consacre à son art, couvant longuement les œuvres du répertoire qu'il chérit, jusqu'à cette éclosion miraculeuse du son, toujours renouvelée, toujours si émouvante pour qui a la chance de l'écouter. Comme provenant d'une résurgence mystérieuse, la musique naît ainsi sous ses doigts, dans ses grandes lignes comme dans ses moindres recoins, dans son déploiement, son cheminement, comme dans l'instant. L'intelligence du texte, l'élévation de la pensée musicale, la profondeur du propos, passent par son toucher, la sensualité du son, sa plénitude, sa couleur, sa matière. Art accompli et divin d'une musique qui caresse l'âme comme elle touche l'esprit et le cœur, tout en donnant à goûter le pur plaisir du son. 

Donnée en première partie de concert, la Sonate en ré majeur D.850 de , composée au contact de la nature durant le radieux été 1825, veut aspirer à la joie et à la légèreté. En son début la matière sonore est d'eau vive, un flux qui dévale le clavier de part en part, dans une large amplitude dynamique procédant par vagues successives, alternant avec la joie fébrile de ses accords répétés. La mélodie fredonnée, optimiste, s'insinue entre sonneries et fanfares orchestrales sonnant ample et sans dureté, jubilatoires dans la coda. Au relief et à la fougue du premier mouvement, succèdent la ferveur et l'intimité de l'Adagio con moto, qui chante comme un lied, et vibre de ses silences. Arcadi Volodos réinvente le temps, con moto mais sans empressement, laisse respirer la musique, veillant à ne pas abîmer l'expansion du son, à préserver son souffle jusqu'à ce qu'il meure de lui-même. Le Scherzo retrouve vigueur et fougue dans son rythme pointé, et chante de belle humeur. Moment léger et d'insouciance, le Rondo final est une marche, une promenade impromptue qui s'achève en s'évaporant dans l'évanescence d'un rêve, dans des sons impalpables, laissant planer un vague sentiment de nostalgie dans le silence qui suit.

occupe la seconde partie du concert. L'innocence des Scènes d'enfants op. 15 succède à la joie insouciante schubertienne. Arcadi Volodos transforme ces quelques miniatures en bijoux de tendresse, doucement chantées, espiègles et enjouées pour certaines, y déployant avec grâce et simplicité toute une palette expressive. La Rêverie est un merveilleux intermède musical, miracle de douceur, temps suspendu dont la fin (reprise du thème initial) est à peine murmurée, dans un pianissimo infinitésimal, comme jouée dans le creux de notre oreille. Tout comme L'Enfant s'endort, d'une extrême délicatesse et si prégnant d'émotion. Le pianiste n'a pas non plus oublié que Schumann est lui aussi auteur de lieder lorsqu'il interprète Bonheur Parfait et Au coin du feu, timbrés et respirant comme la voix, où l'on entendrait presque des paroles. 

Le flot bouillonnant de la Fantaisie op. 17 prend naissance dans le point d'orgue du Poète parle, dernière des Scènes d'enfants, dans ce sol grave qui s'ébranle, sans attendre la dispersion du précédent dans le silence, ni laisser place aux applaudissements. Dans ces pages fiévreuses, « qu'il faut jouer d'une manière fantasque et passionnée », Arcadi Volodos n'hésite pas à prendre des risques, à frôler parfois le précipice, l'égarement, donnant un souffle épique, ininterrompu à cette pièce morcelée. Toute une fantasmagorie naît de son jeu qui ose des graves intensément cuivrés, des aigus en apesanteur sortis d'un rêve lointain, des juxtapositions de couleurs qui interagissent, des contrechants inouïs dans le médium, des accentuations marquées… Le deuxième mouvement triomphateur a une dimension orchestrale, ses accords éclatants fièrement érigés, sonnant de toute leur largeur. Mais c'est dans l'atmosphère pacifiée et nocturne du dernier mouvement, Lent et soutenu, dans le fondu de ses arpèges en filigrane d'un chant aux sonorités chaudes et profondes, enveloppantes, que le pianiste retient notre souffle, suspendant à nouveau le temps dans l'immatérialité d'une méditative rêverie. Celle de ces caressantes lignes de croches doucement voilées qui, comme alenties, descendent le clavier dans une longueur de son et un legato miraculeux. Enfin, après la confidence et les pressants discours, l'irrésistible élan de ses palpitantes dernières mesures : bouleversant !

Ovation debout du public au comble de l'émotion et, en bis, cinq miniatures d'un grand musicien qui salue la main sur le cœur.

Crédit photographique © Marco Borggreve

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