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Alcina à Versailles : une magicienne enjôleuse

Alcina est l'opéra haendelien par excellence et l'écrin de l'Opéra Royal du Château de Versailles constitue un cadre idéal pour l'entendre et découvrir cette nouvelle production avec le , dirigé par .

Créée en février au Théâtre National de Brno en Tchéquie, cette nouvelle production est en tournée en France, à Versailles puis au théâtre de Caen en mai 2022, dans le cadre d'un partenariat avec Brno, dont l'actuel directeur artistique du Théâtre National, Jiří Heřman, signe la mise en scène.

Celle-ci s'axe autour d'une maison abandonnée à deux étages qui se scinde en deux parties. Entre elles, l'enchantement magique d'Alcina opère, dans un espace entouré de miroirs empêchant de regarder à l'extérieur de cet espace. Des hommes portent alors toutes sortes de masques animaliers (lion, taureau, poisson lune, éléphant) ou prennent des postures zoomorphes (une autruche assez incroyable), figurant les prétendants éconduits d'Alcina. Celle-ci se présente tout d'abord en costume XVIIIᵉ siècle, arrivant dans une coquille Saint-Jacques, telle la Vénus sortie des eaux de Botticelli, assise sur une perle géante dont on comprendra par la suite qu'il s'agit de l'urne de tous les sortilèges délivrés à la fin de l'opéra par Ruggiero. Elle est entourée d'éphèbes aux ailes surdimensionnées qui entament, au début de l'œuvre, un ballet habituellement coupé. Sur le devant de scène, Bradamante et Melisso échouent alors sur des bancs de sable dont on regrette qu'ils soient finalement peu utilisés, reléguant les chanteurs trop souvent en fond de scène, ce qui est d'autant plus problématique dans les configurations de théâtre à l'italienne aux nombreux angles morts.

en Morgana possède une voix claire, gracile, fruitée et plutôt élégante, tombant amoureuse immédiatement de Bradamante travestie. Ruggiero, endormi dans ses élans guerriers par les charmes d'Alcina, arrive allongé sur une méridienne, ne supportant pas d'être empêché de lire, alors qu'entre Alcina et sa déclaration amoureuse (« Di cor mio ») d'un ton hautain et précieux. , dans le rôle-titre, possède une belle rondeur de timbre et s'affirme dans le haut médium, mais semble parfois un peut trop couverte par l'orchestre. Cette réserve peut s'expliquer par le fait que ce spectacle se donne sur la scène de l'Opéra Royal en trois représentations en moins de 48 heures ! , en Ruggiero, possède une voix efficace, assez puissante pour cette tessiture, mais la vocalisation semble parfois un peu trop mécanique et désincarnée (« Di te mi rido », « La bocca vaga »). En revanche, on peut lui reconnaître une belle composition de phrasés dans les passages lyriques (« Verdi prati », « Mi lusinga »), malgré quelques couleurs un peu plates.

Les changements de décors sont à vue, telles les magies d'Alcina qui donnent l'impression de voir apparaître une galerie infinie (on peut y projeter des pièces célèbres du Château de Versailles !) ; ces mêmes illusions s'évanouissent pour faire place au désert aride où les sens sont encore trompés. , en Melisso, laisse éclater au deuxième acte une voix claire et bien timbrée (dans le poignant « Pensa a chi geme »), mais pour les notes graves et caverneuses, c'est , en Bradamante, qui se taille la part du lion (« Vorrrei vendicarmi »).

Les tempi sont parfois pris de manière surprenante : « Schernito sei » est très rapidement exécuté, ce qui confère une tonalité rageuse, voire belliqueuse, et non plaintive, en ajoutant ainsi un dramatisme qui ne se complaît pas dans la splendeur de l'écriture vocale. Sans ralentissement, le fatalisme s'abat sur Alcina. Il est à noter les interventions ponctuelles d'Oberto, rôle régulièrement coupé, qui viennent donner la coloration narquoise du personnage d'Alcina qui se joue de ce jeune homme crédule quant au devenir de son père. « Ombre pallide » fait miroiter les facettes les plus lyriques d'Alcina qui se dévoile plus humaine dans le troisième acte : cheveux détachés et robe contemporaine, la spontanéité de la sorcière est désarçonnée. C'est le cas également de Morgana qui lâche perruque et fard pour un sincère « Credete al mio dolore ». A nouveau, le rythme très lent pour « Ma quando tornerai » surprend, ce choix est assez peu heureux tant la vocalise se fait nécessairement sur un souffle raccourci et se heurte dans un tempo si contraint. Étonnamment, les coda de certains airs sont alors complètement éludés ( « Mi restano le Lagrima », le trio de l'acte trois), mais l'ensemble vocal reste très cohérent.

L'ensemble orchestral est plutôt convaincant, bien que manquant parfois d'originalité dans le soulignement de certaines parties instrumentales qui auraient gagnées à être individualisées, mais le travail est néanmoins abouti et reste attentif aux évolutions des chanteurs.

Une soirée baroque dans un cadre idyllique, et qui ne doit pas faire douter d'aller le voir bientôt à Caen.

Crédit photographique : © Marek Olbrzymek

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