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Album « Dualità » avec Emőke Baráth et Philippe Jaroussky

Florilège d'airs haendéliens pour voix de soprano. Dans une discographie riche et variée, la soprano hongroise s'affiche en tête de peloton.

Le terme « Dualità » qui donne son titre au CD évoque le fait que, du temps de Haendel, certaines cantatrices soprano pouvaient être amenées à incarner indifféremment des personnages féminins ou masculins. Tel fut le cas par exemple de la célèbre, Margherita Durastanti, créatrice à Venise d'Agrippina puis à Londres, vingt ans plus tard, du Sesto de Giulio Cesare. Dans l'opéra Radamisto, qui avait marqué en 1720 l'ouverture de la Royal Academy of Music, elle avait créé, en l'absence du grand Senesino, le rôle masculin principal avant de reprendre l'année suivante, une fois le castrat italien arrivé à Londres, celui de Zenobia. Le CD d'Emöke Baráth propose ainsi des airs de quatre personnages masculins – Tauride d'Arianna in Creta, Achille de Deidamia, Adolofo de Faramondo et le rôle-titre de Radamisto – pour autant d'héroïnes féminines : Melissa d'Amadigi, Partenope, Alcina ainsi que la Cleopatra de Giulio Cesare. Il eût été astucieux de proposer quelques airs de personnages féminins et masculins tirés du même opéra. Peut-être aurions-nous alors perçu des différences notoires dans la façon d'écrire de la musique vocale en fonction du genre des personnages chargés d'interpréter telle ou telle musique.

Les airs retenus pour ce programme, conçus pour une voix de soprano, ne posent à Emöke Baráth aucun problème de registre. Son assise confortable dans le médium semble la prédestiner aux grands emplois de sopranos haendéliens écrits dans cette tessiture relativement grave qui a permis à nombre de mezzos aigus (Bartoli, DiDonato) d'incarner des prime donne – Cléopâtre, Alcina – que la tradition attribue généralement aux sopranos. L'air sur lequel s'ouvre le CD, « Qual leon, che fera irato » d'Arianna in Creta, permet en tout cas à la soprano hongroise de suggérer tout l'héroïsme qu'on attend normalement d'une voix de castrat, et que l'on retrouve également pour le « Ai Greci questa spada » de Deidamia. Si Emöke Baráth ne fait qu'une bouchée des vocalises rapides, on la préfère encore dans les airs lents qui lui permettent de déployer son exceptionnelle tenue de souffle. Le « Ah! Spietato ! » de Melissa, les plaintes « Ombra cara » et « Qual nave smarrita » de Radamisto, sans oublier le sublime « Se pietà » de Cléopâtre, font partie des pépites de cet enregistrement où tout semble destiné à susciter l'émotion et la vérité des sentiments. Certes, on a connu des Alcina plus théâtrales dans leur « Ombre pallide », ou des Cléopâtre plus virtuoses dans « Da tempeste », mais de façon générale la beauté des phrasés, la coloration de la voix et la hardiesse des vocalises, sans oublier l'imagination des reprises, hissent ce CD parmi les meilleurs de ces dernières récentes réalisations haendéliennes. Dans son dernier récital Haendel, avait lui-même interprété, déjà à la tête de l', deux des airs de Radamisto chantés ici par Emöke Baráth. Dans son rôle de chef d'orchestre, il se montre particulièrement attentif au confort des tempi, à la netteté des respirations et à la beauté des phrasés. Un ou deux duos n'auraient pas gâché le plaisir.

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