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Sublime Flowers (we are) de Claire Croizé au Théâtre de la Bastille

Avec Flowers (we are), et proposent une forme de récit chorégraphique à la beauté éclatante, soutenu par cinq interprètes d'exception, engagés dans la confrontation féconde des corps et des mots.

Les montagnes géométriques qui se dévoilent en fond de scène évoquent les décors de Apia, Schlemmer ou encore Erwin Piscator, forces vives du Bauhaus et de la modernité. Mais les sommets ici font encore plus écho aux écrits de Henry David Thoreau en couvrant d'une nature lumineuse les chemins de vie des interprètes.

La découpe fluide des lumières dans un ballet ininterrompu de succession d'espaces dessine les lieux accueillants de la fable secrète et délicate de Flowers (we are) de et . Comme suivis par une poursuite lumière qui se renouvellerait à l'envie, les trois interprètes explorent les vers de Reiner Maria Rilke dans une danse accompagnée par deux pianistes, un père et sa fille, qui jouent des variations à partir de partitions de Bach. Tous à l'écoute les uns des autres, ce quintette se répond, se soutient, se considère avec bienveillance, entouré de draps argentés immenses, bordant le fond de scène et le côté cour. La matière de ces rideaux argentés n'est pas sans rappeler les rideaux scintillants des Variations Goldberg d'Anne Teresa de Keersmaeker et ils forment un signe peut-être involontaire de révérence à celle dont les mouvements irriguent, en souterrain, la proposition de , formée à P.A.R.T.S. à Bruxelles.

Claire Godsmark s'engage corps et âme dans les pas du poète autrichien, interprétant les mots invisibles avec une force tellurique et une sensibilité à vif. Emmi Väisänen irradie la scène d'une présence agile et bondissante, incarnation subtile d'une danse qui n'a pas peur de nommer la terre « la légère ». Car le Zarathoustra de Nietzsche le dit : « Celui qui apprendra à voler donnera à la terre un nom nouveau. Il l'appellera la légère. » Emmi Väisänen, par sa grâce aérienne, s'élève vers une allégresse communicative. Et, en compagnie de Gorka Gurrutxaga, jeune faune agile et candide, de et Francesca Fargion, les deux danseuses de Flowers (we are) apportent avec tout autant d'insouciance que de gravité un soin au mouvement, témoin de la plus sincère des poésies, de la plus touchante des complicités.

Au-delà de la note d'intention, qui évoque ce texte de Reiner Maria Rilke et ce désir de travailler à partir des mots et des situations, le travail corporel porte réellement et sans superflu la trace des écrits du poète, dans les situations qu'il propose, dans les gestes énonciateurs qu'il expose. Une narration mallarméenne apparait, une chorégraphie du mot, qui fait de la pensée naissante qu'est la danse, selon les mots d'Alain Badiou dans son Petit manuel d'inesthétique, la possibilité d'un récit qui se tait. Dans cette dualité entre le texte et le corps se fait jour une dramaturgie de l'évocation, du dire et du tu, au travers d'engagements corporels vifs et ciselés. C'est alors à la naissance d'une forme de beauté que nous assistons, à une offrande chorégraphique dense et éthérée.

Crédits photographiques : © Herman Sorgeloss

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