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La Marche des enfants de Babx, croisade musicale de la nouvelle génération

Dernière commande passée à l'auteur-compositeur Babx par l' pour le Pôle d'Excellence du Théâtre Edwige-Feuillère de Vesoul, La Marche des enfants ouvre la 13ᵉ édition du Mois Voix d'enfants/Espace scénique conçu par Charlotte Nessi.


Plutôt que la Croisade des Enfants retenue par l'Histoire, celle partie de toute l'Europe en 1212 en direction de Jérusalem afin de délivrer la « ville sainte », David Babin (alias Babx) a préféré celle menée par la nouvelle génération pour délivrer la planète de toute la pollution industrielle et les mises à feu et à sang que les générations précédentes ont été impuissantes à freiner. Celle menée aux États-Unis par les prises de positions (« Never again ») d'Emma Gonzalez (16 ans) contre les armes et les tueries de masse (Parkland, Orlando et consorts) et celle menée en Suède par Greta Thunberg (« How dare you ? ») contre le réchauffement climatique lui ont inspiré la matière de La Marche des enfants, requiem militant et, à l'instar de celui de Fauré : lumineux.

Sur toute la largeur du vaste plateau du théâtre, visée par deux diagonales de lumière rouge, une fillette dort devant un brasier que la vidéo diffracte sur un rectangle de lanières pendu à mi-hauteur. C'est, dialoguant avec un autre rectangle d'images en arrière-plan, le seul décor de la mise en scène très sobre de , plutôt tournée vers les corps et la lumière particulièrement soyeuse qui les caresse. Délaissant la pesanteur du réalisme pour l'apesanteur de l'atmosphérique, l'ensemble dégage, dans une ambiance de cathédrale, une manière de mysticisme panthéiste.

Composée principalement sur des poèmes du poète anglais William Blake (peintre et poète mystique incompris du mitan des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles), la partition de Babx convoque également par-delà le temps, l'écrivain américain plus contemporain James Baldwin (« Si le concept de Dieu a une utilité, c'est de nous rendre plus grands, plus libres et plus aimants. Si Dieu ne peut pas faire ça, il est temps de se débarrasser de lui ») et même Pasolini sur l'immédiatement prenant Misteri, un des deux numéros-phares de La Marche des enfants, partition multi-culturelle (au risque du disparate) et mélodieuse, entre gospel, incantation et berceuse. Cinquante trop brèves minutes jouées par cinq musiciens tapis dans la pénombre du fond de scène: violoncelle, contrebasse, clarinettes, percussions, et piano tenu par le compositeur lui-même. Des pièces d'ambiance (l'intro fait planer l'ombre de Chopin) ou seulement chorégraphiques font éclore huit numéros chantés confiés au Pôle d'excellence du Théâtre Edwige-Feuillère, structure née, en 2019, de dix années de recherche et de travail sur la voix d'enfant et l'espace scénique. Une spécificité que Babx connaît bien, sa propre enfance ayant côtoyé de près, grâce à sa propre mère, la Maîtrise de Radio-France.

Les 42 artistes (de 8 à 18 ans) du Pôle d'excellence, costumés et maquillés en tenue de combat, ont répété au fil d'ateliers hebdomadaires et de stages ayant démarré en novembre 2021. Menés à un impressionnant niveau d'exigence musicale par , tous (troupe au complet ou diffractée selon les interventions, mais aussi solistes discrètement équipés de micros) sidèrent une fois encore (certains étaient déjà de Children of Britten monté à l'automne dernier avec Théophile Alexandre). L'osmose générale d'un engagement physique et vocal total (même au cours d'un étonnant numéro d'ensemble sur le seul souffle) ne se relâche jamais, même aux moments très physiques des chorégraphies exigeantes et réglées au cordeau de Cécile Danjou.

Babx a souhaité qu'aucun surtitre ne vienne éclairer les textes – évacuant systématiquement le français – dans une volonté de ne pas plomber le discours d'un spectacle envisagé dès le départ dans l'optique d'un finale hymnique dédié à l'énergie et à la joie de vivre. Ce que réussit magnifiquement le Joy is my name terminal dont l'exquise intervention solistique façon Annette de Leos Carax, les inspirations mélodique et chorégraphique à leur plus haut finissent de captiver les spectateurs de la première séance d'une série de trois, donnée à guichets fermés devant un public… d'enfants.

L' aura, cette année, 40 ans. La pleine jeunesse, comme le certifie cette commande passée une nouvelle fois (après André Litolff, Dominique Probst, Philippe Mion, Didier Lockwood, Philippe Servain, Henri Torgue, Serge Houppin, Etienne Roche…) à un compositeur-pas-encore-mort, cette Marche des enfants de 2022, pendant musical des mots qu'Ariane Mnouchkine adressa aux adultes de 2014 : « Disons à nos enfants qu'ils arrivent sur terre quasiment au début d'une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Il faut qu'ils sachent que, ô merveille, ils ont une œuvre à accomplir (…) Disons-le, haut et fort. » La Marche des enfants du Théâtre Edwige Feuillère est la croisade musicale de la nouvelle génération.

Crédits photographiques: © Vincent Arbelet

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