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À rebours avec Mikel Urquiza

Ce premier CD monographique du prolifique (né en 1988), consacre un compagnonnage déjà ancien (près d'une dizaine d'années) avec L'Instant Donné, et cerne de près la manière subtile et recherchée du compositeur.

Les idées fusent et les notes aussi chez le compositeur basque dont le catalogue compte déjà quarante-quatre opus, certes relativement courts, et qui recevra le 2 juin prochain le très convoité Prix Ernst von Siemens de la jeune création. Il suffit de visiter son site pour apprécier l'importance du visuel dans son travail et la diversité des sources d'inspiration qui nourrissent un imaginaire sonore hors norme : telle cette aile aux plumes bigarrées (« L'aile d'un rouleau bleu » de Dürer ») associée à Contrapluma pour piano solo (2016). L'instrument crépite dans l'extrême aigu de son registre, avec l'obstination du geste et le heurt des contrastes (clusters contre glissade). La caresse se fait ici contre le sens des plumes ! Schubert et son quatrième Impromptu s'invite dans ce flux à rebours, avec douceur et fantaisie. L'engagement physique de Caroline Cren pour aller « contre le sens des touches » (glissando ascendant), son énergie et l'amplitude sonore qu'elle confère à l'écriture confinent au vertige.

dit avoir beaucoup chanté dans sa jeunesse et reste attaché à la voix. La virtuosité et l'humour sont à l'œuvre dans I nalt be clode on the frolt (2018) écrit pour la soprano et les neuf musiciens de L'Instant donné, non dirigés, rappelons-le. Les paroles de ces cinq « chansons » (au format des Alla Breve/ Création mondiale de France Musique) sont des annonces trouvées sur le web (« Cherche titre », « Cherche femme », etc.), prétextes à d'irrésistibles saynètes animées par la chanteuse et un ensemble instrumental très coloré. Le piano y est préparé et les musiciens sont munis d'accessoires, comme ce jouet en latex qui couine et enchante le deuxième numéro. Il n'y a pas de chanteuse dans Cinq pièges brefs pour violon, violoncelle et piano (2012) mais les trois instruments, souvent détournés de leur fonction première, semblent autant de personnages à la voix singulière auxquels il ne manque que les mots. Dans Serpientes y escaleras (Serenata) de 2016 pour six instruments, précise « le décor » de sa scène de théâtre : « un jardin – les roses sont facultatives mais valorisées – plantes grimpantes, orangers et jasmin… ». À la musique donc de projeter ses images. Le piano est préparé, les techniques de jeu très diversifiées et le tempo alerte. Une action est en cours, avec rebondissements, bruits étranges, soupirs, fredons passagers ; et oui, les musiciens de l'Instant Donné sont aussi de très bons comédiens !

S'il aime détourner, renverser les situations, Mikel Urquiza prend un malin plaisir à brouiller les pistes dans Zintzil (« suspendu » en basque) pour six instruments dont un accordéon et une guitare : « J'ai d'abord écrit au crayon l'ensemble des mélodies de Beethoven, puis j'ai privilégié un fil d'écoute et j'ai fait de l'espace autour avec une gomme », explique-t-il : procédé de filtrage d'une texture accumulant les thèmes des neuf symphonies du maître de Bonn. La voix qui émerge sur les quelques mots de l'Ode à la joie signe la réussite de l'entreprise !

Il est question de train, et tout particulièrement du Paris-Rome, en lien avec les deux romans de Michel Butor, L'emploi du temps et La Modification dans Les lueurs se sont multipliés (2015), autre commande de L'Instant Donné (et du Département français de la culture) où le compositeur donne libre cours à son imaginaire sonore : pour évoquer, et toujours avec le sourire, le rythme du voyage, et autres effets bruités de la locomotive subtilement restitués par les sept instrumentistes tout terrain. Après les évocations romaines, plus humoristiques que sentimentales, « Stanza di Livia » et « Clair de lune au bosco » (la partition a été écrite à la Villa Médicis), « Les lueurs se sont multipliées », troisième et dernière partie, est une page superbe, d'une force d'évocation encore inédite. L'ultime touche de couleur pour mettre fin au voyage relève de la trouvaille urquizienne.

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