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Week-end Xenakis à Radio France

Après l'ouverture avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Pascal Rophé, le week-end Xenakis à Radio France proposait Zythos par le Paris Percussion Group puis la création mondiale pour Métallophone de .

Xenakis # 2 : Ordo ab Chao

Deuxième volet du festival Xenakis, un concert tout en nuances où s'invitent trois compositeurs vivants héritiers du Grec : , et . Écoutons l'écho et ses métamorphoses.

Écouter la musique de (1922-2001), c'est toujours plonger dans l'archaïsme de la Grèce et de ses mythes, la Grèce des percussions et des syrinx. Ainsi de Zythos (1996), l'une de ses dernières compositions, qui ouvre la soirée. Un démarrage en douceur tant la pulsation est lente et tant se complètent le souffle, les coups et les timbres du trombone et des marimbas qui dialoguent en conciliabule. Tout est feutré ou heurté et tout paraît de guingois dans cette partition dont le titre signifie « bière » ou anciennement « boisson fermentée ». Un dialogue de sourds ? Plutôt d'ivres vivants qui tentent de concilier les fragments de leur discours mélodieux. Et ce qui séduit par-dessus tout, c'est précisément l'absence de séduction dans une recherche d'effets : une pensée va, tout simplement.

Un orchestre divisé en peaux, métaux, claviers, bois, sons in/déterminés, c'est la proposition de Silex (2021) de , sur l'idée du percussionniste Michel Cerutti, soliste de l'Ensemble intercontemporain et inventeur de l'instrumentarium que forment les douze musiciens du Paris Percussion Group. Réunir ce qui était épars (les percussions) et l'ordonner pour créer une œuvre qui dégage une sensation d'ensemble synchrone alors qu'elle est divisée en une demi-douzaine de structures polyrythmiques superposées et autonomes. Ce qui donne un jeu structuré fait d'entente et de mésentente entre le soliste et les autres, des tutti entrecoupés d'échanges entre instruments de même tonalité, le battement cardiaque des grosses caisses grossissant de lui-même puis redoublé par les autres percussions, tout cela entre agitation et silences. Une cacophonie virile bien organisée qui sonne un peu aux antipodes de Xenakis.

Cap à l'est et la féminité absolue avec et sa très belle pièce City of Falling Angels (2006), qui doit son titre à l'Angelus novus de Paul Klee. On est immédiatement sensible à la souple direction hypnotique de Julien Leroy conduisant les douze musiciens dans une pièce élastique et diaphane, où la recherche sur les timbres ne le cède qu'à l'importance accordée au silence, répondant ainsi à sa manière à la question de savoir comment faire durer le son dans le temps. Sensible aussi à l'inventivité, celle par exemple de l'archet frappé au talon par un maillet et plongé dans un seau pour jouer sur les hauteurs et les résonances. On pense au Samsara (2000) de Roger Tessier pour piano, percussions et sons fixés, qui travaille également les transparences sonores. Mariage réussi de l'Orient et de l'Occident pour un monde réunifié… enfin.

Retour au viril martial avec sur la caisse claire roulant au début de Titans (2008) d', tandis que les autres percussions plantent leurs clous. Un morceau en trois mouvements très pulsé et très coloré où le clavier s'entend dans sa totalité. Encore un orchestre de percussions dans lequel, finalement, certains prennent la mélodie et sont soutenus par ceux qui deviennent leurs percussions, comme dans les passages où un ou deux xylophones solistes s'évadent en s'appuyant sur les autres titans. C'est cohérent, totalement maîtrisé par le Paris Percussion Group, et très beau.

Xenakis # 2 : un concert frappé au coin des bons sens ! (PJ)

Réinventer la musique avec

Rêver, imaginer et construire son instrument : c'est le projet du compositeur qui a tenu le cap durant plus de dix ans pour réaliser son Métallophone. Six percussionnistes l'ont mis en vibration pour la première fois dans l'Auditorium de Radio France lors du week-end Xenakis.

Les 216 lames du Métallophone ont été fondues en Birmanie et sont accordées au douzième de ton. Le coffre en bois laqué est l'ouvrage d'un artisan français tandis que les chevalets ont été réalisés en Italie. La conformité de l'instrument de quinze mètres de long mute en fonction du lieu qui l'accueille et avec lequel il va dialoguer : parmi ses différentes formes sculpturales, citons celle de la colonne vertébrale, de l'onde sonore ou encore du cercle presque parfait tel qu'il est dévoilé au public parisien ce 8 mai. Une date qui marque une étape importante dans le cheminement de notre jeune compositeur et chercheur (il n'a que 32 ans), désireux de faire évoluer la notion du concert et de changer le paradigme de la création.

Ainsi propose-t-il au public auquel il s'adresse de « devenir cigales » – chanter plutôt que battre des mains – pour accueillir la Compagnie des Insectes, six percussionnistes chevronnés et réunis autour du projet, car le Métallophone est une aventure commune, un espace d'échange entre le compositeur et les interprètes. Les Métamorphoses, titre de cette première œuvre écrite pour l'instrument fait référence, sur fond d'écologie, aux différentes mutations que connaissent, entre autres, les insectes. Avec ce nouvel instrument, l'idée est d'explorer l'objet sonore, d'articuler le geste et d'échafauder la forme musicale à travers la vibration des lames mais aussi de celle de l'armature qui les supporte.

Les percussionnistes sont à genoux, dans une première approche, pour tester les supports en bois de l'instrument : crépitement doux sous les baguettes (elles sont pratiquement toutes différentes, nous confie le compositeur ), par vagues successives et volutes souples qui tressent les sonorités. Le jeu sur les lames de métal autorise toutes les techniques et tous les types de résonance : trémolo plus ou moins rapide jouant sur la qualité du grain et de la couleur, son lisse obtenu par la friction d'un archet sur le bord des lames, résonance de cloches en carillon, glissement microtonal des hauteurs avec fluctuation du son ou effet de continuum qu'appelle de ses vœux Bastien David : sensuel glissement jusqu'au seuil aigu des lames ou fléchissement très voluptueux vers les graves. Dans la résonance généreuse de l'Auditorium se superposent bientôt plusieurs strates d'écoute propices aux illusions acoustiques : telles ces clameurs et sifflements produits par l'écho naturel des lames ; plus magiques encore, dans cet espace immersif, ces flux de résonance qui semblent se détacher de leur source et s'élèvent en spirales dans un sfumato étrange ; ou encore, ces sons paradoxaux qui n'en finissent pas de monter ou de descendre, entretenus par les six percussionnistes étroitement solidaires. Pieds nus, ils sont en continuel déplacement, effectuant parfois des mouvements contraires qui engendrent la polyphonie. Ils deviennent danseurs lorsqu'ils se mettent à tourner de plus en plus vite à l'intérieur et autour du Métallophone, produisant, sous le trémolo hyper-contrôlé de leurs baguettes, ces sons-toupie à la Manoury, sans électricité cependant !

La lumière est toujours douce, qui module les couleurs sans perturber l'écoute. Des lucioles apparaissent (la tête blanche des baguettes dans la pénombre envahissante) au terme de la trajectoire, tandis que les percussionnistes quittent la scène, baguettes hautes délicatement entrechoquées, rappelant le chant des cigales.

Jamais l'oreille ne se lasse, toujours à l'affût de nouvelles morphologies et autres constellations scintillantes participant de la magie de ce concert-spectacle et du pouvoir émotionnel du son. À chacun de vivre cette expérience immersive avec son propre ressenti, dans des conditions d'écoute où les yeux comme les oreilles sont sollicités… Plus l'instrument va voyager et investir de nouveaux espaces, plus il va rencontrer de publics différents. C'est l'enjeu de ce projet nomade : « rassembler des gens différents autour d'un même objet. » (MT)

Crédit photographique : © François Daburon

 

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