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Intelligente Ariane à Naxos à l’Opéra de Limoges

Œuvre inclassable par son livret et son style, Ariane à Naxos de n'est pas l'œuvre la plus simple à monter.

Est-ce pour cela que le directeur de l'Opéra inaugure la soirée par une petite explication pédagogique ? La démarche est à saluer dans la perspective d'accompagner le public vers une œuvre mais elle en serait quasiment ici superflue tant la proposition est d'une grande lisibilité.

On a l'habitude de partager schématiquement la carrière de en deux parties : la première formée par le diptyque de Salomé et Elektra, incarnant jusqu'en 1908 la modernité, et la période inaugurée par Le Chevalier à la rose en 1911, symbolisant un retour au XVIIIᵉ siècle et aux opéras de caractères de Mozart. Plutôt identifié comme un opéra de la deuxième période, Ariane à Naxos est pourtant une œuvre inclassable (elle regarde autant vers Mozart que Wagner), multiple (la conversation en musique que représente le prologue et la représentation de l'opéra en lui-même) et paradoxale (tradition et modernité s'y côtoient, drame et burlesque, trivialité et mythologie).

Le prologue est donc une conversation en musique montrant les préparatifs d'un opéra chez un riche mécène. On y trouve un jeune compositeur enfiévré, une primadonna et un ténor qui se tirent dans les pattes, une troupe de saltimbanques prête à tout pour tirer la couverture et un maître de musique qui essaye de mettre de l'ordre car les excentricités du mécène doivent contribuer à ce que ce petit monde finalement très cloisonné travaille ensemble.

Le dispositif scénique imaginé par le Lab- & est très intelligent et respectueux. Autour de la mise en abyme qui est, avec la métamorphose, le thème central de l'œuvre, ils donnent à voir dans le prologue des artistes en trois dimensions (ce qu'ils sont humainement, ce qu'ils sont socialement et ce qu'ils tendent à être scéniquement) grâce à des vidéos habilement utilisées pour les suivre même hors de la scène, nous rendant témoins de leurs dérives, solitudes, turpitudes. Les interventions (parlées et non chantées comme à l'accoutumée) du majordome du mécène donnent à l'image des commanditaires un caractère oppresseur qui sera vengé (bâillonné pour être précis) à la fin de l'opéra. Cet opéra poursuit la mise en abyme entamée dans le prologue, donnant à ce titre une jolie continuité, un fil à ces deux « actes ». Les chanteurs y incarnent des personnages mythologiques mais au final, n'est-ce pas d'eux aussi qu'il est question ? Rarement l'opéra aura été aussi lisible du point de vue dramaturgique, dans la métamorphose des personnages, dans leurs interactions émancipatrices.


C'est une très belle proposition portée par une distribution d'une grande cohérence mais que survole quand même le compositeur incandescent de la mezzo Julie Robart-Gendre, remarquable de souffle, de puissance et d'investissement scénique. On admire les couleurs extraordinaires de son timbre rond et chaud, irradiant de jeunesse et d'insolence et une technique superlative qui lui permet d'assumer les paradoxes de sa partition, entre théâtre et grand lyrique. Elle est accompagnée par son maître de musique, le baryton Christian Miedl, parfait dans ce rôle atypique où le théâtre et le jeu de scène sont prédominants.

confère de sombres couleurs à son Ariane, ce qui n'est pas pour déplaire, tant les invocations à la mort sont nombreuses. Si quelques aigus sont parfois un peu tendus, elle bénéficie d'un riche medium et d'un phrasé très travaillé ainsi que d'une attention aux mots très appréciable. Les grandes envolées lyriques du finale sont superbes et son duo avec le Bacchus marmoréen et second degré de fonctionne très bien dans des pages qui nécessitent beaucoup d'endurance pour les deux chanteurs.

Les comédiens Brighella (le ténor Paul Schweinester par ailleurs très juste et charismatique maître de danse au prologue), Scaramouche (le ténor Léo Vermot Desroches très à son aise) et Arlequin (superbe timbre de baryton de Christophe Gay) apportent la fraîcheur et la respiration voulues par le mécène. Ils sont menés à la baguette par la très séduisante soprano , Zerbinetta au timbre pulpeux, aux aigus assurés et expressifs, irrésistible dans le numéro de cabaret du fameux grand air de l'opéra que tout le monde attend et qui se révèle ici moins impressionnant que profond par la subtilité qu'elle amène dans l'interprétation du texte.

Soulignons enfin les trois belles Najade (), Echo (), et Dryade (Agata Schmidt), toutes trois à l'unissons dans cette partition qui n'est pas sans rappeler celle des filles du Rhin chez Wagner.

L'orchestre de l'Opéra de Limoges se révèle un tapis sonore onctueux et coloré grâce à une belle valorisation des pupitres et à la battue souple et élégante de . Entre élégie, énergie et burlesque, le chef réussit une synthèse essentielle dans cette œuvre décidément très singulière du répertoire.

Précisons que cette soirée a fait l'objet d'une captation de France Télévision, l'occasion peut-être de voir ou revoir ce spectacle intelligent, vif et réjouissant.

 Crédit photographique : © Steve Barek

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