- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Pluie d’étoiles sur le Songe d’une nuit d’été à Lille

À l'Opéra de Lille, tourne une page dans l'histoire du merveilleux opéra de avec une fosse et un plateau au diapason d'un spectacle à la perfection miraculeuse.


« Une impressionnante boîte obscure… un espace totalement ouvert comme le cosmos… la nuit plutôt que le bois… démultiplier l'espace… un immense miroir noir où se reflètent les constellations toujours en mouvement… arracher les personnages à la pesanteur … un voyage aux limites du temps. » Ces quelques mots de auraient pu être les nôtres tant indiscutable est l'adéquation entre la note d'intention dont ils sont extraits et le sublime du spectacle auquel nous avons eu la chance d'assister. Le metteur en scène français, au plus haut de son inspiration, signe là ce qui risque d'être son chef-d'œuvre.

Lorsque, dans un noir d'encre, on voit une pluie d'étoiles coulisser des cintres vers un sol les réfléchissant à l'infini, et lorsqu'on voit ensuite ledit sol accoucher de lucioles mouvantes et chantantes aux antennes étoilées, on pressent que cette introduction qui, en moins de deux minutes, vient d'arracher toute une salle à la pesanteur du quotidien, annonce un spectacle de génie. réussit le grand chelem, qui navigue avec une grâce infinie entre les trois niveaux du formidable opéra de Britten : cosmique, comique, romantique. Fées (en sombres tenues de soirée maquillées façon Bob Wilson), amoureux (en pyjamas clairs) et artisans-comédiens (en tenues colorées) sont regardés à même hauteur d'inspiration. La pluie d'étoiles (et ses multiples combinaisons, dont le secret ne sera dévoilé qu'au retour du réel, au Palais de Thésée), l'apesanteur de quelques disques lumineux, l'appétence au voyage de deux lits, l'irruption de quelques bicyclettes, et surtout un double miroir (sol et fond de scène) démultipliant jusqu'au vertige protagonistes et accessoires. Un sommet de poésie cosmique et un finale dont on devinait que Laurent Pelly allait faire son miel : « la chose la plus stupide que j'aie jamais entendue », s'esclaffe Hippolyta, mais aussi la plus désopilante scène de méta-théâtre qui soit, surclasse, à Lille, toutes ses devancières. Le ténébreux miroir qui fixait au lointain les limites de l'action s'avance vers le public dont l'image indistincte, réfléchie jusque là en fond de scène, s'agrandit et se précise : chaque spectateur peut dès lors s'y mirer, et profiter lui aussi de ce carton d'invitation à la désopilante représentation façon Monty Python, de l'histoire de Pyrame et Tisbé patiemment répétée jusque là par les artisans. La scène, déjà condensé d'inventivité offrant, en même temps que le spectacle en train de se faire, la vue sur les préparatifs en coulisse offerte par le positionnement en diagonale de l'immense miroir, se clôt avec un stupéfiant tournis d'images : le miroir, aussi joueur que Puck, prend alors un malicieux plaisir, sur la Bergamasque, à casser une ultime fois les perspectives avant de regagner sa place originelle, et de revenir au monde de la nuit étoilée. Une performance technique mémorable qui vaudra un triomphe aux saluts à l'endroit des machinistes que ce Songe virtuose aura privés de sommeil.


Pluie d'étoiles dans la fosse. L'opéra repose, une constante de tous les opéras de Britten, sur un excellent livret. Britten a coupé avec Pears dans Shakespeare sans changer un iota des vers conservés. Le plus parfait exemple d'une adaptation sans trahison, la copie des deux complices s'avérant même plus lisible que celle de leur auguste compatriote. Destinée à une chambre d'une quarantaine d'instrumentistes, la musique est une leçon d'orchestration. , utilisant son comme Obéron sa fleur magique, en extrait tout le suc afin que chaque auditeur tombe lui aussi immédiatement amoureux de l'enchanteresse partition que, voulant rendre à Benjamin ce qui est à Benjamin, il brandira haut, très haut, au moment des saluts.

Pluie d'étoiles sur le plateau. D'abord les enfants-lucioles qui ouvrent l'opéra et auxquels Britten a réservé, ciselées par les poussières du célesta, du glockenspiel et les bercements de la harpe, les parties les plus bouleversantes : le Jeune Chœur des Hauts-de-France enchante dans cet opéra qui invite un chœur d'enfants à s'immiscer dans cette histoire d'adultes. À la tête de ces derniers, et complètent une lignée déjà fameuse, lui Obéron plus Laurence Zazzo qu'Henri Ledroit, elle Tytania plus corsée, autoritaire et incarnée que la piquante, fantasque et immatérielle Sandrine Piau. Le quatuor des amants (, , et ) est une merveille d'alchimie. Dictions, timbres clairs et gracieux, aisance scénique… Des artistes complets que Laurent Pelly, en un bel hommage qui met aussi la musique en scène, fait avancer et reculer tour à tour à l'Acte III lorsque la même mélodie leur fait dire qu'ils ont trouvé leur âme-sœur « comme un bijou perdu ». Alchimie joueuse similaire pour le quintette des artisans-comédiens (, , , , ) autour du Bottom haut en couleur de , même sommé par une Tytania très demandeuse d'abandon, de tomber sa salopette rouge… Les parties de Thésée et d'Hippolyta sont brèves mais et y imposent une belle présence dans cette réalisation attentive à tous, et bien sûr au personnage pivot de Puck incarné avec l'ambiguïté nécessaire par – et sauf erreur, c'est une première- une comédienne : Charlotte Dumartheray. La direction d'acteurs est à l'aune de l'ambition visuelle.

Jusqu'à présent, lorsqu'on pensait au Songe d'une nuit d'été, on pensait : Robert Carsen/Aix 1991 ou Moshe Leiser et Patrice Caurier/Lyon 1983. On aura compris que, faisant a minima jeu égal avec ces versions mythiques, Laurent Pelly vient de tourner une page dans l'histoire du Songe d'une nuit d'été.

Crédits photographiques: © Simon Gosselin

(Visited 1 037 times, 1 visits today)