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Les musiques de Madame Bovary : l’élégant hommage aux femmes de David Kadouch

Lecteur passionné du chef-d'œuvre de Gustave Flaubert, , tissant un lien entre littérature et musique, rend hommage aux compositrices et musiciennes du XIXᵉ siècle trop longtemps restées dans l'ombre, celles qu'aurait pu écouter Emma Bovary durant sa courte vie. 

On ne peut que se réjouir du mouvement qui pousse les musiciens depuis une poignée d'années à réhabiliter un nombre insoupçonné de compositrices talentueuses tombées dans l'oubli, ou considérées comme artistes mineures. a choisi de s'y inscrire avec originalité, raffinement et élégance. C'est dans le XIXᵉ siècle, si peu favorable à l'épanouissement de la personnalité de la femme, dont le devoir est de se tenir effacée derrière le père, l'époux, ou encore le frère, qu'il est allé puiser pour composer cet album très personnel. Mais pas au hasard : fort de l'attachement qu'il voue au personnage d'Emma Bovary, des pages de Flaubert lues et relues où la musique affleure (le piano auquel l'héroïne renonce, un bal et ses étourdissantes valses, une soirée à l'opéra) il reconstitue une histoire musicale, reflet du chemin de vie de la malheureuse Emma, « avec cette question en suspens : le destin, le suicide d'Emma Bovary aurait-il pu être évités si ces créatrices avaient eu la gloire qu'elles méritaient ? »

Le pianiste met ainsi quatre compositrices au centre de son programme : , qui ne publia ses œuvres qu'un an avant sa mort ; , amie de Flaubert ; dont l'œuvre abondante et si peu connue compte également des symphonies, et , éclipsée par la carrière de son mari. Des œuvres soigneusement choisies de , Léo Délibes (via la transcription d'Ernst Von Dohnanyi), et de Liszt/Donizzetti, trouvent à leur voisinage leur juste place. Au fil de son récit musical, évoque la dernière année de vie d'Emma Bovary, de son mariage à sa mort tragique, nous plongeant dans son univers sentimental, émotionnel, intensément romantique. Quatre des douze pièces calendaires de « Das Jahr » (L'année) de bornent judicieusement la narration : Mai, vibrante et frissonnante de vie et de fraîcheur, Septembre, à l'atmosphère assombrie et agitée, Juin, au ton mélancolique et alangui qui vire à l'exaltation, et Mars, dont le choral triste et dramatique finit en apothéose et dans la ferveur. 

Avec cette douzaine de pièces attachantes par les couleurs de leurs mélodies, le musicien dépeint avec délicatesse et poésie chaque état intérieur de l'héroïne tourmentée et passionnée : ses intimes aspirations, ses rêves de vie palpitante trouvent leurs échos dans la Sérénade de , pleine de gaité et d'allant, mais aussi dans les trois Nocturnes op.9 de Chopin joués à fleur d'âme et avec une simplicité touchante – quelle fine et belle ligne de chant dans le n°2 ! . La Valse du ballet Coppélia qui évoque la scène du bal semble une parenthèse heureuse, un absolu de légèreté convoité, auquel le pianiste prête son toucher aérien, perlé et subtilement coloré. L'Air Russe varié op.17 de est joué avec une vigueur toute beethovénienne, dans la plénitude de son écriture harmonique. Les Réminiscences de Lucia di Lammermoor de Liszt (opéra auquel le couple Bovary assiste à Rouen, dont le destin tragique de l'héroïne préfigure celui d'Emma), orchestrales, sont éperdument chantantes et théâtrales, magnifiquement timbrées. Les Variations sur un thème de Robert Schumann op.20 ont elles une belle profondeur. 

La Mélodie de qui conclut ce récital résume dans sa nue simplicité ce qui émane en final de ce superbe programme tout en sensibilité : non point la tristesse, mais le charme et la tendresse. Tel ce portrait d'Emma que le pianiste nous apprend à aimer, et que nous reconnaitrons peut-être entre les lignes d'une prochaine lecture, alors tout imprégné de ses musiques. 

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