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Thomas de Haas, le jour du deuil

La mort est sur scène pendant tout l'opéra, l'émotion, elle, n'est là que par moments.

Ja Mai, tel est le nom intraduisible du festival que Serge Dorny veut créer pour honorer le répertoire contemporain, autour chaque année d'un compositeur différent, l'an prochain Toshio Hosokawa, cette année pour la première édition . Trois opéras étaient prévus, Bluthaus que nous avons déjà commenté, Thomas et Koma, tous trois composant la « Trilogie de Schwetzingen » de Haas, puisque tous les trois ont été créés avec le même librettiste, Händl Klaus, au festival de Schwetzingen. Le troisième, qui devait être réalisé par Romeo Castellucci et Teodor Currentzis, a dû être reporté en raison des difficultés pour faire venir de Russie les musiciens de MusicAeterna.

Thomas n'a pas un sujet aussi sombre que Bluthaus, et pourtant : dès le début de l'opéra, Thomas doit dire adieu à son compagnon Matthias, qui meurt d'une maladie non précisée. L'opéra l'accompagne dans cette première soirée de deuil où il doit admettre la mort de Matthias ; il est entouré par l'équipe médicale, mais aussi par « Mme Fink des pompes funèbres », et tous, dans la routine de leurs métiers respectifs, donnent corps à la disparition de Matthias. Comme dans Bluthaus, Haas et Händl Klaus ne se privent pas des moyens de l'humour : le médecin est accompagné d'un factotum qu'il ne cesse de houspiller ; Mme Fink entre comme une diva, sa banale phrase d'entrée boursouflée d'ornements envahissants, et on sent vite que ses offres de service répétées sont pour Thomas moins un soulagement qu'une insupportable violation de son intimité ( la joue avec beaucoup d'humour, mais avec une voix trop généreuse en décibels).

La mise en scène de Thomas est confiée à , connue en Allemagne pour son goût pour le théâtre musical expérimental, volontiers conceptuel. Pas de doute, ce spectacle ne manque pas d'ambition, mais il n'est pas à la hauteur de ce qu'il semble promettre. Au début du spectacle, nous dit-on, le public se trouve à l'intérieur d'un corps humain : sur une sorte d'énorme rocher qui occupe une bonne partie de la scène sont projetées les images d'organes palpitants, et on entend la respiration de Matthias, jusqu'à son dernier souffle. Par la suite, à quoi sert ce rocher désormais simplement blanc, comme toute le reste de la scène ? Il faut attendre les dernières minutes du spectacle pour qu'il s'ouvre, révélant l'ensemble instrumental et ouvrant la dernière phase du spectacle, à grand renfort de fumigènes. Entre temps, il ne se passe pas grand chose, avec une direction d'acteurs qui reste prosaïque et des costumes qui ne le sont pas moins, à l'exception des deux infirmières venues laver le corps – on ne saisit pas quelle impression doivent donner les costumes en forme de sculptures de lumière qu'elles portent.

Tout l'opéra est orienté autour des sensations de Thomas, et non sur son passé avec Matthias – vers la fin de l'opéra, celui-ci revient, en une ultime présence corporelle qui n'est qu'une illusion, et dont la dissolution marque le début de l'acceptation. Pour exprimer ces états entre deuil et irréalité, Haas recourt à un instrumentarium réduit et original : parmi la dizaine de musiciens du Münchner Kammerorchester, on compte un clavecin, deux percussionnistes, deux guitares, un accordéon, une harpe, une cithare et une mandoline. Les ambiances sonores qu'il crée à partir de ces timbres si hétérogènes sont souvent d'une grande séduction, même si l'usage du clavecin est souvent un peu trop stéréotypé, façon Continuum de Ligeti. Les limites de la mise en scène ne sont pas les seules raisons qui justifient une moindre émotion que deux jours plus tôt avec Bluthaus qui, lui, parvenait à s'affranchir du fait divers pour dire beaucoup plus. Ici, le banal héros éponyme ne porte rien de plus que lui-même : on compatit, on admire l'écriture unique de Haas, mais l'émotion, elle, n'est pas à la hauteur des ambitions des auteurs.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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