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Le Malade imaginaire en vrai à Avignon 

L'intégralité de la pièce de Molière, l'intégralité de la musique de Charpentier : un rendez-vous qui ne se refuse pas. Surtout avec Le Concert Spirituel en fosse.

Si l'on connaît quasiment par cœur chaque réplique de la géniale pièce de Jean-Baptiste Poquelin (qui fut sa dernière puisqu'il y mourut en scène à la quatrième représentation), il en va tout autrement de la musique de . Le spectacle qui clôt avec entrain la première saison de Frédéric Roels à la tête de l'Opéra Grand Avignon, étrenné à Angers à l'hiver 2022, renvoie à l'hiver 1673, à l'intégralité du projet imaginé par un Molière qui venait de s'affranchir d'un Lully dont l'entregent dictatorial (toute pièce en musique destinée à être jouée devait avoir reçu au préalable son autorisation) allait contaminer la santé musicale de ce Malade imaginaire que Charpentier devra par deux fois réviser, le Surintendant de la musique du roi ayant également fait stipuler un nombre maximum de musiciens par représentation. C'est donc bien évidemment la version originale « dans sa splendeur », reconstituée par Catherine Cessac, qu' a lui aussi choisie pour venger par-delà les siècles dramaturge et compositeur.

3h45 plus un entracte ! La soirée est longue, aussi longue que celle où, en 2004, Benjamin Lazar et Vincent Dumestre ressuscitèrent le premier chef-d'œuvre du genre de la comédie-ballet (Le Bourgeois gentilhomme de Molière et Lully), et on ne s'en plaindra pas. Dans le joli décor (Claire Niquet) d'une cité caressée du soir au matin (et inversement) par les lumières de Carlos Perez, se déplie et se replie, à la façon d'un retable, la demeure d'Argan. A chacune de leur ouverture, les deux portes fermées de la pièce où se terre l'hypocondriaque croquent avec humour chaque personnage avant même qu'il n'ait ouvert la bouche. Les costumes d'Erick Plaza-Cochet pétillent de malice. Bien que détaché de toute préoccupation en phase avec une actualité médicale dont il aurait pu faire ses choux gras, bien que conclu sans image forte, le Malade imaginaire version Tavernier/Niquet n'engendre pas la mélancolie.

Introduit tambour battant (au propre comme au figuré), le Prologue à la gloire de certain Roi-Soleil fait passer la pilule de l'allégeance aux puissants par la bonne humeur d'un Carnaval (animalier) moqueur au moment des effets d'écho chuchotés sur le mot Louis ! Puis au bout de ces trente minutes de pure musique, orchestre et chanteurs s'éclipsent devant les comédiens des Malins Plaisirs, la troupe de . L'Argan de Pierre-Guy Cluzeau n'est pas sans évoquer, un soupçon de folie en moins, la diction de Michel Serrault. Les scènes où il joue à mourir avant de confondre sa jeune épouse (formidable Béline de Jeanne Bonenfant, la duplicité faite femme) sont à mourir de rire. La Toinette de Marie Loisel, le Béralde de Laurent Prévost, le Purgon de Nicolas Rivals et la Louison de Gabrielle Godin-Duthoit : tous ont le ton juste. Les Diafoirus rivalisent de génie dans le jeu de massacre de Molière impitoyable avec une profession dont la toute puissance n'en finit pas de s'exercer sur des humains opportunément appelés « patients »: le Père de Quentin-Maya Rové, énorme dans son anathème final et plus encore le Fils de Benoît Dallongeville, ahurissant Tonneau de Danaïdes de stupidité mal équarrie. L'Angélique touchante de Juliette Malfray et le Cléante d'Olivier Berthault sont les seuls à rejoindre l'équipe vocale pour affronter, à l'Acte II, le délectable second degré du petit opéra des amants empêchés, façon Précaution inutile du Barbier de Séville.

D'une durée d'1H15, la partition de Charpentier (un Prologue et trois Intermèdes) inspire à Marie-Geneviève Massé d'harmonieuses chorégraphies, principalement baroques, exécutées par les huit danseurs de la Compagnie de Danse L'Eventail. Les sonorités Grand Siècle du Concert Spirituel magnifient les talents conjugués de six chanteurs (pour 20 rôles !) qui n'ont même pas besoin de surtitres. se distingue d'emblée par une Flore au mezzo moiré et gourmand mais tous les autres (, , Blaise Rantoanina, , ) sont sources de bien des plaisirs lorsqu'ils ne sont pas, de longues plages durant, intimés à la discrétion. Ce que l'on devine un rôle de composition pour soi-même, habitué à des performances qui sollicitent autrement sa vis comica, et intimé là, dès que se tait une musique qu'il dirige avec son autorité et son inventivité coutumière (les percussions sont particulièrement sollicitées), à se fondre dans la pénombre de la fosse. C'est l'autre réserve que l'on adressera à ce Malade : la relation plateau/fosse y est terriblement spartiate, aux antipodes de la réjouissante folie interactive à laquelle le chef du Concert Spirituel est régulièrement convié par les Benizio. Heureusement la bête (de scène) se réveille une fois que tout est fini. Niquet imprime progressivement aux saluts une dynamique d'enfer : jouant plusieurs fois de suite à expédier en coulisse un plateau qu'il juge avoir assez vu, il fait applaudir en cabotin la fosse, arrachant même des ovations en rythme à toute la salle. Un mouvement perpétuel qui semble ne jamais devoir finir, et auquel, d'un geste sur sa montre, il décide de mettre un terme, signifiant par là à une assistance devenue très joueuse, qu'il est tout de même l'heure d'aller se coucher. Aussi amusant que certaine pièce de Molière mise en musique par Charpentier.

Crédits photographiques : © Hélène Aubert

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