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Le Festival ManiFeste célèbre le chant

« Alors le chant s'élève quand rien ne capte le regard. » De Bach revisité par Webern à en passant par les rares Cantates de Webern et la Passacaille pour Tokyo de Manoury : un concert qui célèbre la voix et montre l'évolution de la musique contemporaine, donc ses filiations.

Entamé et complété successivement par des cuivres solos s'élève timidement le thème complet et archi-connu de la Fuga (Ricercata) extrait de l'Offrande musicale BWV 1079 (1934-1935), trouant le silence de la Salle des concerts de la Cité de la musique : on se dit alors qu'on est particulièrement bien ce soir, calé dans son fauteuil. Puis les violons développent onctueusement la fugue. Ce passage d'un instrument à l'autre est le principe de la « mélodie des timbres », ou Klangfarbenmelodie, exploité par Webern ici. Aucun autre effet, nul vibrato, effectif restreint : cette transcription est une véritable mise à nu du chef-d'œuvre de Jean-Sébastien Bach, une sorte de colorisation par les timbres sans que le phrasé originel, celui, complexe, d'un ricercar à six voix, ne soit jamais brouillé. La moindre intervention de la trompette ou du trombone bouchés, on entend tout, tout le temps. Transparence très bien rendue par l'acoustique assez sèche de la pièce. L'équilibre cordes-vents est parfait et l'on est vraiment soulevé par la vague du crescendo, très bien amené. C'est sûr, l' et Matthias Pintscher connaissent cette musique sur le bout des doigts.

La richesse des timbres s'agrandit avec la Cantate n°1 op. 29 (1938-1939), qui convoque, en plus des cordes habituelles et des vents, la mandoline, le célesta, la harpe, la grosse caisse, les timbales, le triangle et le gong. Sans oublier, bien sûr, la soprano solo ni un chœur mixte. On retrouve ici le raffinement, le caractère diaphane et coloriste de l'écriture de Webern, et s'il fallait dénoncer une véritable dissonance, ce serait plutôt le bruit de bottes que faisait ces années-là la Wehrmacht en Autriche puis en Pologne (auquel le compositeur semblait d'ailleurs sourd) ! Trois parties, chacune écrite sur un poème de Hildegard Jone (1891-1963), dont la traduction française est projetée au-dessus de la scène. Jean Sébastien Bach n'est toujours pas oublié, comme l'indique le titre « Cantate » ; ainsi, le chœur a capella (), plus épais que l'orchestre, en étage-t-il imperturbablement les différents canons. La voix soliste de la soprano s'élève dans le deuxième mouvement, « Kleiner Flügel Ahornsamen », « Petite aile, graine d'érable ». Clair et ingénu, tout sauf maniéré, le chant de colle parfaitement à l'atmosphère dépouillée de la pièce. Puisqu'elle est aussi peu souvent jouée, on écoute également la Cantate n°2 op. 31(1941-1943), le dernier opus de Webern, un peu comme une nouveauté. L'amie du musicien en signe encore les textes. Si la première Cantate baigne dans un climat spirituel, celle-ci est franchement religieuse, comme l'indique le compositeur en comparant ses six mouvements à ceux d'une missa brevis. Religiosité aussi dans le passage de la basse (très belle prestation de ) à la voix soprano. Ou encore dans les coups discrets de la cloche tubulaire. L'amour est au centre de cette pièce entre attention inquiète et atteinte d'une certaine sérénité. Intégrer le contrepoint dans une écriture sérielle, tel fut le défi d'un créateur qui est moins finalement dans la rupture que la poursuite de la tradition.

Saut dans le temps avec (né en 1974) et son Once Anything Might Have Happened, pour soprano, cor, ensemble et électronique (2021-2022) ! Le poète William Carlos Williams (1883-1963) a inspiré cette œuvre étonnante, joyeuse et très fraîche. Ainsi du duo soprano-cor (, très à son aise) sur fond d'électronique. Celle-ci, composée avec la complicité de , de l'Ircam, s'amalgame merveilleusement à la partie acoustique, au point qu'on ne sait pas toujours laquelle est première. De la même façon, la musique épouse le texte dans une jubilation incandescente. Un lyrisme très bien porté par la voix candide et presque enfantine de , chanteuse plus sensible à l'humain qu'aux esthétiques. Rien de superflu dans cette écriture souple et entière à la fois, aux antipodes du collage, pas même les à peine perceptibles bruits de bouche ou les coups de paume sur l'embouchure du cor, qui prennent place naturellement dans un tout poétique. Décoiffant !

Retour à une certaine austérité avec la Passacaille pour Tokyo, pour piano et dix-sept instruments (1994) de . Austérité qui rime avec nécessité puisque cette passacaille est construite sur le motif récurrent du piano, l'instrument soliste () et sa note centrale, mi bémol, répété inlassablement comme s'il était produit par un balancier d'horloge. Pas vraiment concertant, ce piano obstiné est amplifié par l'orchestre. Après un début énergique, l'ensemble reste fondu et lancinant dans des notes conjointes. Puis c'est un long solo au piano, fait d'accords chromatiques suspendus, qui rappelle Messiaen lointainement. L'écriture est très serrée, sans rupture ou véritable respiration, mais sans lourdeur. On est sensible au chatoiement de l'orchestre et par exemple à l'effet de stéréo qu'entretiennent à un moment le piano à gauche et la harpe à droite de la scène égrenant la même note ensemble ou alternativement.

Saluons l'intelligence du programme de cette soirée faisant se succéder des morceaux très bien appariés.

Crédit photographique : © Kate Lemmon 

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