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Au disque comme au concert, le Chœur de chambre de Namur honore le bicentenaire de César Franck

Bicentenaire de la naissance de oblige ! Après une participation très remarquée lors de la recréation (liégeoise namuroise et parisienne de l'opéra Hulda, le , préparé et dirigé par son chef permanent , en compagnie de quelques remarquables musiciens accompagnateurs, remet sur le métier l'ouvrage et nous gratifie – au concert comme au disque – d'une superbe anthologie chorale entièrement dédiée au Pater Seraphicus, mi sacrée, mi profane : « de l'autel au salon ».

Replongeons-nous à l'été 2020. Après la première vague de la pandémie de Covid, une fenêtre s'ouvrit pour de nombreux artistes musiciens belges : les concerts furent autorisés devant un auditoire rigoureusement compté, et surtout, dans des normes sanitaires strictes, les enregistrements étaient de nouveau possibles. C'est dans un timing serré que le chef permanent du chœur de chambre namurois, les autorités du Cava (Centre de chant choral et de musique ancienne), bénéficiant des conseils du bi(bli)ographe franckiste par excellence Joël-Marie Fauquet, établirent un choix d'œuvres chorales sacrées et profanes franckistes, parmi un catalogue abondant. Agrémenté de quelques pièces instrumentales, ce programme recelant quelques inédits, parfois encore réduits à l'état de manuscrits, fut capté pour le disque par le label Musique en Wallonie, en l'église de Gesves. Publié pour cette année jubilaire, sa présentation luxueuse et sa riche iconographie sont particulièrement soignées.

Loin de tout esprit systématique, comme l'intégrale, au demeurant exemplaire, des œuvres sacrées pour chœur et orgue réalisée par les forces lyonnaises sous la direction de Bernard Têtu (publiée en deux volumes par Aeolus) ce programme intitulé « De l'autel au salon » permet cerner au mieux les sources d'inspirations musicales du maître, et d'imaginer un dimanche dans les familles riches bourgeoises parisiennes, entre participation matinale à l'office tenu en la paroisse très huppée de Sainte-Clotilde, et après le déjeuner, la pratique du chant d'ensemble en famille ou entre amis.

Après le disque, vient le concert dans le cadre des : l'interprétation de ce soir de juillet 2022 est donnée avec un effectif choral quasi identique à celui de l'enregistrement, tout en tenant compte de l'absence en l'église Saint-Loup de Namur d'un orgue fonctionnel et adapté, tel le Cavaillé-Coll de Gesves. Sont proposées une petite quinzaine de pièces figurant toutes sur le CD, augmentées ce soir, d' interventions instrumentales alternatives très poétiques – tels le prélude fugue et variation de 1861 pour harmonium et clavier, et la lascive et tardive danse lente (1885) pour le seul piano : elles permettent de retrouver en dehors de leur soutien choral un Philippe Riga aussi précis et délicat que concerné (touchant immatériellement le « Grand Concert » Erard londonien de 1870 à cordes parallèles – propriété de la collection Maene), et le probe et musical Edward Vanmarsenille à l'harmonium, un instrument historique signé Edouard Alexandre, parfaitement conservé. Les deux acolytes y vont même d'une transcription franckiste inédite et inattendue : celle du fameux pizzicato extrait du ballet de Sylvia de Léo Delibes, avec de saisissants effets de staccati à l'harmonium !

Mais l'essentiel est évidemment ailleurs. Et c'est par petites touches que le dresse un portrait intime et émouvant du maître. Cet itinéraire musical retrace l'ensemble de la carrière parisienne franckiste, échelonnée sur une bonne trentaine d'années : on y (re)découvre un maître conscient de sa science, de son originalité et de son talent, mais modeste et probe, entièrement dévoué aux exigences d'un clergé et d'une assistance musicalement conservateurs : le grand offertoire pour le jour de Pâques Dextera domini (1861) – qui conclut à la fois la première partie de ce récital et le disque- témoigne d'un académisme de façade passablement ironique. Peu à peu surgit au fil des pages et de la chronologie, la figure d'un compositeur essentiel, tel qu'il s'affirmera à partir des oratorios Rédemption (1873) ou des Béatitudes (1879). Parmi les cantiques, motets ou offertoires retenons le beau Domino Deus in Simplicitate augural, de 1861, le Tantum Ergo pour voix de basse soliste (exemplaire ), violoncelle (Emmanuel Tondus quelque peu timoré) chœur ad libitum et harmonium, sans oublier le célébrissime Panis Angelicus (1872), offertoire ajouté lors de la publication à la Messe solennelle op. 12, bien défendu sans aucun surlignage saint-sulpicien par le ténor .

Mais c'est sans doute la second partie du récital qui capte le plus l'attention à la fois par l'intérêt accru des œuvres sélectionnées – des chœurs profanes à voix égales issus d'un recueil de 1887-89 – que par une interprétation en phase et idéalement ciselée. On soulignera en particulier la qualité des angéliques et veloutés pupitres de soprani et d'alti, aux timbres lustraux et à la parfaite homogénéité.

Certes, comme pour le calamiteux livret de Hulda, le choix de certains textes assez datés ou convenus (Premier souvenir de Mai du wagnériste Victor Wilder, Les Danses de Lormont de la romantique façon bas-bleus Marceline Desbordes) laisse perplexe ou songeur, même si l'imagination musicale n'est jamais prise en défaut. Mais par exemple, pour conclure, les trois chœurs, dans leur version réduite au seul accompagnement du piano, extraits de l'oratorio Rebecca, sur un poème plus adapté de Paul Collin, permet l'expression d'une palette harmonique ou mélodique plus orientalisante ( le chœur féminin introductif Sous l'ombre fraîche des palmiers, et plus encore le chœur des chameliers « Nous marchions avant que l'aurore… » ), révélant le maître franco-belge sous un jour quasi inconnu, très éloigné de l'austérité et de la monumentalité de ses ultimes pages. En bis, nous sont offertes les simples, brèves et très fraîches litanies de la Sainte Vierge de 1884

Le , admirablement cornaqué par , se révèle exemplaire tout au fil de cet exercice assez périlleux, tant par la précision des attaques, par la lisibilité de la diction, par l'homogénéité des pupitres que par une implication de tous les instants et une exquise musicalité. Outre déjà cité, il convient de citer les solistes sollicités au fil des offertoires ; la soprano , régionale de l'étape, bien connue pour ses participations dans le domaine baroque, aux ensembles Correspondances de Sébastien Daucé ou Vox Luminis de Lionel Meunier, se révèle parfaite soliste romantique, attentive tant à la rhétorique musicale qu'au poids des mots. Le jeune et prometteur baryton , déjà remarqué lors de plusieurs productions d'opéras de La Monnaie ou de l'Opéra Royal de Wallonie apporte d'une mâle assurance toute l'autorité déclamatoire requise par ces quelques pages religieuses parfois plus péremptoires.

Bref, ce programme permet de mieux cerner la personnalité humble et attachante d'un méconnu, et peu fréquenté au disque comme au concert, renvoyant du Pater Seraphicus une image apaisée, singulièrement éloignée des tourments des ultimes pages organistiques chambristes ou symphoniques justement célèbres.

Crédits photographiques : Chœur de chambre de Namur © Gabriel Balaguera

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