- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Rêvons avec Eric Tanguy

Remarquablement servi par une fine fleur d'interprètes, In a dream survole sur vingt ans la musique de chambre d'un compositeur d'aujourd'hui habité par la musique d'hier.

Eric Tanguy avait confessé, lors de l'édition 2019 du Festival de Besançon, le besoin qu'il avait eu de s'affranchir de l'enseignement de ses maîtres (Horatiu Rădulescu, Ivo Malec, Gérard Grisey). Les pièces qui nourrissent In a dream sont les parfaites ambassadrices d'un style qui, une fois affranchi des fourches caudines des diplômes de passage, vola assez vite de ses propres ailes. « J'appartiens à l'école buissonnière. Pas à la vieille école », dit-il crânement aujourd'hui. Le geste de Tanguy, bien que lesté d'un lourd héritage, trace sa route en toute liberté.

Les premières mesures du Quintette enflammé qui ouvrent le disque (un paisible tapis ravélien prenant son envol assez vite vers une touffeur toute brahmsienne) donnent le la. Entre « mélancolie et fougue expressive », piano et cordes entraînent l'auditeur dans une rêverie modale effrénée. Poésie spectrale et feu sous la glace seront les constantes au menu de ce disque composé de pièces généralement brèves (de sept à quatorze minutes), s'adressant à toutes les combinaisons possibles de la musique de chambre la plus virtuose : le , les violonistes et , l'altiste , le violoncelliste , le clarinettiste . Tous généralement dédicataires et familiers de la musique d'Eric Tanguy, et plus encore le piano volubile, rêveur, autoritaire et même parfois dévastateur (Spirales) de , maîtresse de cérémonie de la quasi-totalité des pièces et dédicataire de Nachtmusik, à son seul instrument dédié, qu'elle cède à pour le puissant Trio conclusif. Chaque opus vit intensément, ausculté, entre Salle Colonne et Salle Cortot, par une prise de son exemplaire qui donne à chacun comme à chaque effet sa juste place: les raucités de Moreau sur Spirales, l'aigu de Conunova sur la Sonata Breve destiné au seul violon (l'instrument du compositeur), le velours unique de Génisson sur Lacrymosa, une pièce composée au moment de la mort de Dutilleux, dont Tanguy avait eu le privilège d'être proche.

Eric Tanguy sait emporter l'auditeur dans un maelström d'affects et l'on ne s'ennuie jamais à l'écoute recueillie de ce disque gorgé d'une musique passionnée, à laquelle manque peut-être à présent le bienvenu d'une inspiration mélodique à même d'inscrire dans le marbre des mémoires un style attachant. Qu'il nous soit à notre tour permis de rêver : aussi loin que lui des diktats musicaux de son époque, Jean Sibelius, auquel Tanguy consacra un ouvrage passionnant (Ecouter Sibelius chez Buchet Chastel ), creusa sans complexe aucun un même sillon classique, dans lequel il sut semer quelques graines modales mais aussi mélodiques, dont l'on fera le tour encore longtemps…

(Visited 568 times, 1 visits today)