- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Blomstedt dans Mozart et Vořišek : la mémoire du grand style

Ce programme capté en concert en septembre 2020 avec le Gewandhausorchestrer Leipzig fut conçu comme un hommage au chef tchèque Vaclav Neumann dont on célébrait, alors, le centenaire de la naissance. Sans bouleverser la discographie, ces interprétations de Mozart et Vořišek sont instructives quant à l'esthétique du chef d'origine suédoise et la préservation des timbres d'une phalange remarquable.

, actuel doyen des chefs d'orchestre, a étudié auprès d'Igor Markevitch et Leonard Bernstein, entre autres. Pour autant, sa conception du répertoire classique apparaît moins anguleuse et dynamique que celle du premier, dans Mozart avec Berlin et Lamoureux, et du second, avec Vienne. Blomstedt cherche avant tout la préservation du chant et l'élégance de la phrase bien construite. L'âge aidant, certainement, les tempi du chef s'assagissent si l'on compare ce concert avec ses lectures des dernières symphonies de Mozart avec la Staatskapelle de Dresde (Denon) ou bien avec le RSO Bavière (BR Klassik). Puissamment charpentée, triomphante, la version saxonne de la Symphonie n° 38 faisait songer à la vivacité des changements d'atmosphères des Noces de Figaro, deux partitions de l'année 1786. À Leipzig, le chant seul a été préservé. Il est vrai que notre écoute se concentre sur le galbe des cordes, l'absence de tout effet, de toute emphase, de ces trépidations rythmiques si étrangères à l'univers de Blomstedt : il s'appuie sur les basses pour construire le développement puis il donne quelques impulsions et laisse éclore les timbres jusqu'à l'extinction des phrases. Dans la petite harmonie, hautbois et bassons rayonnent dans une sérénité souriante. Sans l'apport des timbales et des trompettes, l'andante offre un dialogue pastoral entre les violons et les basses. Un dialogue ponctué aussi d'inquiétude et de doute, avec des modulations inattendues qu'il serait inutile de surligner. À Dresde, la “mise en scène” – au demeurant splendide – baignait dans une chaude lumière. À Leipzig, l'esprit de la sérénade s'impose avec un sentiment de contemplation dans le mouvement lent, ce qui nous a d'ailleurs incité à réécouter Böhm, Klemperer et Walter. En l'absence d'un menuet festif, le presto conclusif modère sa gaieté. Il évoque celle-ci bien davantage qu'il ne l'exprime. Malgré la beauté des solos de bois et ce sourire esquissé depuis le podium, on reste un peu sur notre faim.

Vořišek nait l'année de la mort de Mozart et disparaît à l'âge de 34 ans. Pianiste formé notamment à Prague puis à Vienne auprès de Hummel, le musicien originaire de la Bohême orientale fut profondément influencé par les écritures de Mozart et de Beethoven. Vořišek n'entendit jamais sa Symphonie en ré majeur op. 24 (et non op. 23 comme indiqué dans le livret) alors qu'elle est, aujourd'hui, son œuvre la plus jouée et enregistrée. En témoignent une dizaine de versions allant des orchestres traditionnels aux ensembles “historiquement informés” : Petr Altrichter, Karel Ančerl (à deux reprises), Jiří Bělohlávek, Paul Freeman, Reinhard Goebel, Thomas Hengelbrock, Charles Mackerras, Marek Štryncl, Jarosław Thiel… Pléthore de lectures par conséquent, pour une partition qui apparaît, rétrospectivement, comme une passerelle esthétique entre le dernier Mozart, Beethoven et le premier Mendelssohn.

La direction de Blomstedt séduit dès les premières mesures, en évitant tout contraste inutile. Le début est ainsi presque anodin, la fluidité des phrases, splendide, comme si elles s'évanouissaient avant qu'une autre idée musicale n'apparaisse. L'influence de Beethoven s'impose dans le premier mouvement alors que l'Andante prend des allures romantiques, comme si les violoncelles songeaient à quelque page de Berlioz, celui de Roméo et Juliette (la Symphonie date de 1823 !). D'une allure mendelssohnienne – il est vrai que nous sommes à Leipzig – et schubertienne, le scherzo jaillit sans dureté, avec une fraîcheur réjouissante. Rappelons que la Symphonie “Inachevée” de Schubert date de 1822 et la Symphonie n° 1 de Mendelssohn, de 1824. Le finale est d'une veine plus beethovénienne. La puissance et le velouté des timbres du Gewandhaus de Leipzig impressionnent de bout en bout. Quel concert !

(Visited 523 times, 1 visits today)