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« Envol et Extase » avec l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä

De la rotation de Toutatis à la transe cosmique du Poème de l'Extase, l' et son chef mettent la barre très haute pour ce premier concert de la saison où s'affichent également deux créations mondiales.

Après l'hommage ému rendu au pianiste et chef d'orchestre allemand Lars Vogt, partenaire fidèle de l', et ses musiciens font tourner au-dessus de nos tête Asteroid 4179 : Toutatis, de , une page d'orchestre luxuriante ouvrant grand l'espace et dardant ses couleurs entre scintillements stellaires et collisions spectaculaires. La pièce très courte (4′) vient compléter en 2005 un projet discographique de Simon Rattle avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin autour des Planètes de Gustav Holst. Elle s'avère également une excellente introduction au poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra de dont le murmure inaugural des contrebasses transite avec les dernières résonances de la partition. La monumentale Introduction avec orgue et les huit parties enchaînées – « de loin la plus importante de mes œuvres », faisait remarquer le compositeur – font briller l'orchestre de tous ses feux : pureté des timbres solistes, élégance des lignes et clarté de la polyphonie ; l'orchestre sonne généreusement sous le geste fluide de Mäkelä qui soigne les transitions autant que les équilibres, célébrant l'orchestration straussienne dans tout son panache et sa virtuosité.

est péruvien mais a séjourné sept ans à Helsinki où il se forme à l'Académie Sibelius ; le temps de s'imprégner, via les poèmes symphoniques du maître finlandais, de l'épopée du Kalevala dont il tire la légende d'Aino. Co-commande de l', du Concertgebouw d'Amsterdam et de l'Orchestre symphonique de Chicago, son poème symphonique Aino donné en création mondiale est dédié au chef et ami . Les premières pages sont prometteuses, sollicitant les harmoniques des cordes au sein de textures qui nous font tendre l'oreille. Mais l'écriture ne tient pas ses promesses, juxtaposant de courtes séquences plus démonstratives qu'évocatrices, avec force bâton de pluie et métaux résonnants. L'inspiration mélodique s'enlise comme le mouvement réduit à quelques balancements harmoniques que viennent rehausser les cloches tubes sans éviter le pathos (« Rivière de larmes ») et certaines lourdeurs dans les répétitions.

A linea de , la seconde création de la soirée est donnée après l'entracte. La pièce est écrite dans la foulée de son dernier opéra Il viaggio, Dante, créé à Aix-en-Provence en juillet dernier. Plus de dix années séparent cette commande de l'Orchestre de Paris de Morning in long Island (2010), la pièce depuis laquelle le compositeur n'est pas revenu à l'écriture pour orchestre. L'idée première, déjà mise à l'œuvre dans son premier Solo pour orchestre Go (1992), est d'écrire la partition sur une ligne, celle qui sourd des cordes dans A Linea, aussitôt doublée par les vents : une ligne rampante au profil modal s'inscrivant dans un temps étiré, presqu'une signature timbrale chez le compositeur. « J'ai toujours cette espèce de cape sombre qui m'enveloppe », se plait-il à dire ; mais le fil sombre de la mélancolie qui traverse A Linea, et raconte son histoire, est porteur de devenir. Car la ligne grossit et se diffracte, dont Dusapin fait entendre les extensions voire les explosions, engendrant au sein des pupitres qui se désolidarisent des déploiements spectraux, fanfares de cuivres et textures complexes d'une richesse encore inédite. L'écriture convoque les ressorts et les couleurs d'une percussion très en relief, xylorimba, cymbale, wood-blocks, caisse claire, et jusqu'au scintillement final des crotales avant de neutraliser le discours dans une longue résonance de tam. De l'ombre aux éclats multiples dont l'Orchestre de Paris donne toute la flamboyance, A linea relève d'une puissance dramaturgique nouvelle où rejaillit sans conteste l'intense activité opératique du compositeur.

Exigeant et non moins virtuose, le Poème de l'extase d' termine en beauté ce long concert de rentrée. « Avec une ivresse croissante », « Presque en délire », « Avec une volupté de plus en plus extatique », note le Russe dans sa partition : des indications qui ne peuvent que galvaniser le geste et l'élan du chef qui sait néanmoins garder la tête froide. Il mène ses musiciens avec une égale aisance, dans la transparence des textures et la ronde des thèmes (celui, lumineux, d'une trompette particulièrement irradiante). Mäkelä ménage de grandes respirations au sein d'un processus d'ascension qu'il entretient sans faille jusqu'à la péroraison où l'orgue est à nouveau convoqué : plénitude et ravissement sonores obtenus par un Orchestre de Paris rutilant à l'orée d'une nouvelle saison très prometteuse.

Crédit photographique : © Jerome Bonnet-Modds

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