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La Philharmonie de Paris célèbre les chants du vivant avec Musicanimale

Placée sous le signe de la sensibilisation à la préservation du vivant, la saison 2022-2023 de la Philharmonie de Paris s'ouvre avec l'exposition Musicanimale et son grand bestiaire sonore. Riche d'œuvres et objets d'art, joyeuse et poétique, elle invite à tendre l'oreille tout autant qu'à voir.

D comme disparition… Mais avant tout D comme diversité ! Depuis quelques décennies, des espèces s'éteignent, et avec elles, leurs voix. La biodiversité menacée, et c'est le chant de la Terre qui s'appauvrit. La sonnette d'alarme est tirée un peu partout et à la Philharmonie de Paris aussi, l'heure est à l'engagement et à la réflexion : concerts, colloque, forum, Nuit Blanche dédiée aux « Natures sonores », parcours bioacoustique à la Philharmonie des enfants qui vont baliser la nouvelle saison qui commence avec cette exposition, à mi-chemin entre art et science, montée en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle et le Musée d'ethnographie de Genève. Parcours en forme d'abécédaire, dont chaque lettre fait référence à un animal, ou à un objet, ou un paysage sonore en lien avec lui, elle est une succession de découvertes et d'émerveillements : bruissante d'une quarantaine de sons d'espèces différentes, des plus ténus aux plus extravertis, elle rassemble plus de 150 œuvres et objets d'arts, dont un grand nombre de créations.

En prélude à la visite, une immersion dans les splendeurs des chants d'oiseaux : le paradisiaque et rutilant Concert d'oiseaux du bioacousticien Bernie Krause, composé avec des chants collectés aux quatre coins du monde, semble provenir de cette multitude de volatiles peints aux XVIIᵉ siècle par l'artiste flamand Frans Snijders, dont les toiles encadrent l'espace d'accueil où trône une élégante vièle-paon multicolore de L'Inde du Nord. Mais attention danger ! Tandis que le cerf de Gloria Friedmann (Envoyé spécial), perché sur un monticule de journaux, lance par son brame (lettre B) le cri d'alarme, et que le coq (lettre C) donne l'alerte en réveillant les consciences, une brosse efface tous les deux jours (rythme des disparitions des espèces !) les noms des animaux en voie d'extinction qui forment la carte du monde atteint d'Alalie (affection qui provoque une altération de la voix) : en cinquante ans, 50% des sons du vivant auraient disparu.

Appeaux (lettre A) et coucous (très belle collection de pendules) ne sont cependant pas ici pour sonner l'hallali ! Suivant l'ordre de l'alphabet, joliment calligraphié, se côtoient vingt-quatre micro-univers dans des voisinages parfois insolites, qui charment par leur poésie autant qu'ils interpellent. Le chant mélodieux des baleines à bosse, le disgracieux braiment de l'âne, les miaulements comiques des chats, les chants d'amour des mouches, le glouglou du dindon, le mugissement du lion, les ultrasons de la chauve-souris, les sonnailles tintinabulantes, vrombissements, stridulations, pépiements, hululements, zinzinulement… et le ronflement d'un lapin qui rêve, composent ici, avec de nombreux extraits musicaux de Mozart, Rameau, Rossini, Saint-Saëns, Messiaen, Xenakis, Hersant, Saariaho, etc., une symphonie extraordinaire, un singulier opéra. L'escargot (lettre E) est là aussi : il ne dit rien mais sa lente ascension de l'archet de l'alto joué par Gérard Caussé influe sur le cours de la musique. Il y a même une séquence « X », mais tous publics…

Couleurs, fantaisie, humour, surtout rien de désespéré ni de tragique dans ce « cabinet de curiosités » porteur de messages cruciaux. Mais des questions posées auxquelles il appartient à chacun d'apporter sa réponse, comme « les animaux sont-ils musiciens ? », et une « incitation à repenser le monde d'aujourd'hui avec les énormes défis qu'il compte » nous dit Jérôme Sueur (l'un des conseillers scientifiques de l'exposition). Une exposition pour tous les âges, où l'on peut outre écouter et voir, manipuler, s'immerger, éprouver des installations immersives permettant par exemples de se laisser imprégner des sons de la Nuit (lettre N) captés par l'audio-naturaliste Fernand Deroussen, ou « d'entendre » l'oscillation des fils d'une toile d'araignée (Sounding the air de Tomás Saraceno).

« On a depuis bien longtemps installé entre l'animal et l'homme des douanes sévèrement contrôlées », écrivait au début des années 80 le compositeur , inventeur de la zoomusicologie. Musicanimale contribue à abolir ces frontières, en mettant l'accent sur l'hybridation, née de « l'interaction musicale entre humains et non-humains » : Papageno, l'homme-oiseau de La Flûte Enchantée, voisine avec les insectes géants du collectif Tout/reste/à/faire, construits avec des pièces d'instruments de musique, les danseurs de la compagnie Le Guetteur de dansent avec des oiseaux, ne faisant qu'un avec eux, dans un destin commun. Depuis quelques décennies, grâce à la bioacoustique et à l'éco-acoustique, le monde est sur écoute. Musicanimale, en nous plongeant dans la partition du vivant, nous invite à réfléchir à notre façon de l'habiter pour le préserver. Une nouvelle question vient alors : et si l'homme et l'animal n'appartenaient qu'à un seul et même règne?

Le superbe catalogue illustré par Julien Salaud et richement documenté prolonge le plaisir et la découverte.

Crédits photographiques : Centre Pompidou © Adagp, Paris (Papageno), © Blaise Adilon (L'Alalie), © ResMusica/Jany Campello (autres photos)

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