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Reprise de la Flûte enchantée à Bastille avec Pretty Yende

Créée en 2013 à Baden Baden, la Flûte enchantée mise en scène par est au répertoire de Bastille depuis 2014 (en livestream pendant le confinement). La distribution, avec notamment , est la nouveauté essentielle de cette reprise.

Il faut un moment, presque tout le premier acte, pour entrer dans cette Flûte enchantée. Une première cause évidente est la dimension de la salle, surdimensionnée pour l'orchestre mozartien, et qui contribue certainement à l'impression de distance avec l'auditeur dès l'Ouverture, mais aussi entre la scène et la fosse, avec de légers décalages dans le premier acte. La direction d'Antonello Manacorda est pourtant rigoureuse, la musique avance bien, notamment dans les airs les plus solennels, et l'interprétation ne manque pas de finesse. À cela s'ajoute une direction d'acteur fade et convenue, tout particulièrement pour la Reine de la nuit et les trois dames qui restent en retrait. Et puis, il y a la mise en scène dépouillée de , qui évacue tout le merveilleux, tout l'alliage subtil de l'œuvre entre le populaire et le savant, pour concentrer le propos sur l'omniprésence de la mort. Un détail : lorsque la flûte de Tamino résonne pour la première fois, les oiseaux noirs projetés à l'écran, plus inquiétants que bucoliques, évoquent surtout Hitchcock. Ce parti pris de prend cependant tout son sens à la fin du premier acte, dans les épreuves des héros face à la mort. Les décors des précédentes représentations fonctionnent toujours aussi bien, en particulier les scènes souterraines (la descente par de longues échelles, les cercueils, la traversée du feu par Tamino et Pamina). Surtout, Michaël Levine reprend avec intelligence un lieu commun du décor depuis la fin du XVIIIe siècle, celui de la forêt d'opéra, en projetant une vidéo de forêt évoluant au fil des saisons et du parcours initiatique.

Mais la nouveauté de cette représentation tient à la distribution (prévue jusqu'au 19 octobre). avec sa présence scénique lumineuse incarne une Pamina plus pimpante que victime innocente. Sa voix moelleuse, en dépit d'un vibrato un peu marqué, séduit pleinement dans les grands moments tragiques (air « Ach ich fühl's » ou la scène du poignard). Son exclamation suave en retrouvant Tamino, « Tamino mein ! », suffit à enchanter la soirée. À ses côtés, Mauro Peter (voir son Pamino à Salzbourg en 2019) investit son rôle plus vocalement que scéniquement, avec un chant touchant et tendre. Au chapitre des petites déceptions, nous avions rêvé d'une voix plus profonde dans les graves (O Isis und Osiris) du grand , par ailleurs tout de puissance contenue. (Reine de la nuit à Glyndebourne en 2019) apparaît fade en entrée dans le premier air, tant vocalement que par son jeu. Le second Air de la Reine de la nuit est en revanche plus saisissant et permet d'apprécier son timbre très pur. en Monostatos et Huw Mantague Rendall en Papageno sont impeccables chacun dans le registre de son rôle. Enfin, les scènes de groupe sont vocalement sublimes, tout comme les interventions du chœur de l'Opéra de Paris.

Si la mise en scène de Robert Carsen n'est pas sa plus grande réussite, cette Flûte bien construite et bien chantée reste un beau moment d'Opéra. Aussi pouvons-nous voir ce final consensuel voulu par Robert Carsen, qui réunit tous les chanteurs et dans lequel même Monostatos est absout, comme une célébration réjouissante de la musique et du spectacle.

Crédits photographiques : , Mauro Peter © Guergana Damianova/ONP

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