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La flamboyance des ballets scéniques de Gluck par le Concert des Nations

Comme l'indiquaient les deux acolytes de Gluck et Ranieri de'Calzabigi pour ses deux ouvrages, Le Festin de Pierre (Don Juan) et Sémiramis : « tout doit parler dans cette musique ». Dans ce nouveau disque, et son Concert des Nations l'ont respecté au pied de la lettre !

L'action dramatique du ballet Le Festin de pierre (Don Juan) représentée la première fois sur la scène du Burgtheater de Vienne le 17 octobre 1761, était figurée exclusivement par des mouvements de danse, mimique et gestique, fondés sur une musique instrumentale « parlante ». Cette œuvre expérimentale jouée dans sa version longue, laisse peu de place à des scènes dansantes décoratives, mais plutôt à des formes en relation directe avec le drame comme la sérénade (Andante) où Don Juan courtise Donna Elvira, l'Allegro forte risoluto dont les contrastes et les changements de tempi reflètent le duel entre Don Juan et le Commandeur puis l'estocade mortelle, ou encore le Risulto e Moderato (n° 25) et ses figurations dynamiques. Danses de salon, fandango espagnol (avec castagnettes !) et danse des Furies se mêlent durant ses trente-deux morceaux.

Peu enregistrée, l'œuvre bénéficie toutefois du regard de John Eliot Gardiner avec les English Baroque Soloists (1981, Erato), et de celui de Bruno Weil avec le Tafelmusik (1992, Sony) qui a choisi, comme de la coupler avec Sémiramis.

Dans cette proposition discographique, l'engagement et l'énergie font foi, donnant vie à un spectacle de scène grâce à l'expressivité des instrumentistes et des quelques annotations dans le livret d'accompagnement, qui permettent à l'auditeur d'associer l'intrigue à la musique qu'il entend. Avant l'écoute, on aurait imaginé qu'une version scénique aurait été mieux appropriée, mais la direction de peint à merveille les différentes situations du drame. Les traits vivaces et nerveux des cordes, la diversité de l'instrumentation des vents (flûtes traversières, hautbois, bassons, trompettes naturelles, cors naturels et trombone alto) avec des cuivres incisifs, tout autant que des cordes pincées (guitare, chitarrone et clavecin) et des percussions (timbales et castagnettes) offrent une énergie fougueuse mais où la caractérisation des nuances n'est toutefois pas oubliée. L'immédiateté du discours musical révèle également une lecture analytique du drame qui se joue, l'envoutement mélodique et rythmique du tableau des enfers mettant en exergue l'art dramaturgique de Gluck.

Sémiramis s'inscrit dans la même unité de ton alors que Gluck choisit toujours pour cet ouvrage des formes courtes et variées. Dans la même continuité, les contrastes ne peignent pas seulement la narration, mais bénéficient sous le regard de Jordi Savall d'une lecture plus profonde en intensifiant chaque séquence de ces quinze numéros d'une vingtaine de minutes ainsi que les attraits de chaque pupitre que ce soit les cordes, les bois ou les cors.

Cette partition reste encore expérimentale pour Gluck pour une « pantomime sans danse » qui s'inscrivait dans les codes opératiques grâce à un thème bien connu de la scène lyrique au XVIIe siècle. Les contrastes et les tensions sont pleinement empreints de dramaturgie, ponctués par les états d'âme de la reine Sémiramis que retranscrit avec la même vivacité que dans l'œuvre précédente. L'intensité de l'horreur et de l'effroi jaillissent dans chaque trait de l'orchestre.

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