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Wagons et roues à aube au Musée Hector Berlioz

ne se contenta pas de les imaginer en musique. Il en fit de bien réels. Jusqu'à la fin de l'année, au musée de la Côte-Saint-André, l'exposition Les voyages extraordinaires de Monsieur B. est consacrée aux nombreuses pérégrinations du compositeur.

Enfant, entre les murs bleus de sa chambre dans sa maison natale au cœur de la petite ville iséroise, Berlioz rêve de voyages. Ses lectures alors de Virgile et des cartes du monde, plus tard celles de Shakespeare et de Hugo, le transportent loin. Elles lui ont inspiré certaines de ses plus belles pages musicales. Ses premiers voyages le conduisent à Paris pour ses études et ses débuts de compositeur, puis en Italie après son succès au Prix de Rome. Par la suite, il sillonne l'Europe pour y donner de nombreux concerts. 

Conçue par , directeur artistique du Musée, l'exposition en lien avec la thématique de l'édition 2022 du festival (« Des milliers de sublimités »), rassemble objets et documents, traces des voyages réalisés tout au long de sa vie par le compositeur, et témoignages d'un siècle, celui de la révolution industrielle, qui connut de grands bouleversements en matière d'évolution des modes de transports, dont Berlioz a bénéficié. À l'orée de ce siècle, les voyages se font encore à pied ou en diligence. Cela ne dissuade pas le jeune Hector qui en vaillant marcheur additionne des kilomètres par dizaines dans son Dauphiné natal, puis par centaines en Italie, alors qu'il est pensionnaire à la dans les années 1831-1832 : c'est ainsi qu'il fera ainsi par exemple le trajet de Rome à Naples et dans les Abruzzes. Dans la première salle de l'exposition, un écran tactile donne un aperçu édifiant des kilomètres parcourus par Berlioz : un tableau y recense tous ses voyages, mentionnant les dates, destinations et distances, ainsi que les moyens de transports empruntés. De quoi le suivre « à la trace » jusqu'en Italie, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Hongrie, en Russie via la Pologne et la Lituanie. 

En quelques années, les innovations techniques accompagnant l'essor industriel se multiplient : fini l'inconfort des diligences et malles-postes (qu'il a utilisées pour regagner Paris), ou du « terrible traineau de fer » lors de son premier voyage en Russie en 1847 (dont on peut voir des illustrations). Vingt ans après celui-ci, éprouvante expédition qui le laisse en proie aux nausées et transi de froid, il retournera à Moscou, mais cette fois en wagons-lits chauffés. La diligence est supplantée par le chemin de fer, et la voile par la vapeur et l'hélice. On y gagne en confort, en durée, en coût. Les déplacements sont facilités par la multiplication des liaisons. Quelle aubaine pour Berlioz, qui écrit à sa sœur : « Une maladie de voyager s'empare de moi de plus en plus ». Au fil de l'exposition, on découvre en lui un fervent défenseur de la modernité, du progrès technologique, un investisseur qui a foi en celui-ci et en son avenir (il acquiert des actions de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans). Une grande vitrine présente sur fond de carte illustrée de l'Europe où figurent lignes de chemins de fer et liaisons maritimes, tout l'équipement du voyageur : malles anciennes, nécessaire de toilette, réveil-matin de voyage…) et deux modèles réduits de locomotives. Dans la salle suivante, d'autres modèles réduits de trains et diligences, et des gravures d'époque détaillant schématiquement les inventions technologiques, comme la transmission de mouvement entre deux systèmes de roues (locomotives). Une collection de gravures et peintures montre les différents endroits traversés ou visités par le compositeur tels qu'il a pu les voir : ports, villes, fleuves, ouvrages d'arts (pont de Nemours). Nous entrons dans l'intimité de ses carnets de voyage où il tient la comptabilité de ses dépenses de façon très scrupuleuse, ses lettres à ses sœurs, sa mère, le courrier échangé avec son fils Louis, qui embrassa une carrière de marin, de la Royale à la marine marchande où il fut capitaine au long cours de la Compagnie Générale Transatlantique à bord de la Louisiane, assurant la ligne Saint-Nazaire—Vera-Cruz. Outre ses tournées jusqu'en Europe centrale, il voyage aussi pour rendre visite à ce fils bien-aimé qui disparaîtra prématurément, emporté par la fièvre jaune : il traverse la Manche en bateau à vapeur pour se rendre à Londres, emprunte le train jusqu'à Saint-Nazaire, séjourne sur la Louisiane, dont une belle représentation picturale est montrée…

Si les caricaturistes s'en donnent à cœur joie dans les revues de l'époque, dont certaines pages du « Journal Amusant » tapissent les murs de la troisième salle de l'exposition, moquant tout ce qu'ils peuvent, des réactions des voyageurs dans les trains, aux inventions expérimentales de Nadar (son aérostat), Berlioz, lui prophétise. Il imagine les voyages de demain : ils se feront par les airs ! Et déclare dans le Journal des Débats en 1893 « qu'il n'y aura plus qu'un seul pays, la Terre ; l'homme ne sera plus chenille mais papillon… ». Sur ces mots visionnaires se termine l'exposition. Mais si le XXᵉ siècle a bien été celui de la conquête des voies aériennes et aussi de l'espace, l'abolition « des frontières…des royaumes et des empires » qu'il envisage comme un idéal de liberté n'est pas encore à l'ordre du jour de notre XXIᵉ siècle. 

Crédits photographiques : © , Département de l'Isère

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