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Un week-end aux Passions Baroques à Montauban

Le festival Passions Baroques à Montauban et alentours a pointé vers le sud et mis l'accent sur la Méditerranée pour sa 8ᵉ édition, explorant une source d'inspiration inépuisable entre Orient et Occident, à travers des langues multiples et variées, de l'occitan à l'araméen en passant par le grec ancien, l'arabe, tant dans les domaines religieux que profane.

Outre des concerts de grande qualité dans des lieux emblématiques de Tarn et Garonne, comme l'abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, fraîchement rouverte après travaux, avec des artistes de haut niveau comme le chœur de chambre Les Éléments, Le Concerto Soave, ou Pierre Hantaï, l'événement de cette 8e édition a incontestablement été la recréation de la pastorale Daphnis et Alcimadure de Jean-Jospeh Cassanéa de Mondonville, l'unique opéra baroque en occitan par les Passions de Jean-Marc Andrieu avec le chœur Les Éléments. Ce projet d'envergure porté par le chef et musicologue depuis une vingtaine d'années, lui aura demandé deux années de travail pour restituer et éditer la partition en réécrivant les parties intermédiaires, toujours manquantes selon les usages de l'époque. Cette représentation sera suivie de deux autres au Théâtre du Capitole de Toulouse les 12 et 13 octobre..

Pour autant, un passionnant film documentaire Enquèsta surs une opèra en occitan a été projeté au public avant la création. Il s'agit de replacer l'ouvrage dans son contexte avec l'histoire de sa résurrection, associé à une intense action pédagogique en milieu scolaire. L'ensemble est commenté par la soprano, linguiste et professeur d'occitan Muriel Batbie-Castell, qui a également préparé les solistes à la prononciation et à la métrique de l'occitan, même s'il existe des proximités avec l'italien, tout comme la musique de Mondonville recèle nombre d'italianismes en pleine querelle des Bouffons…

Conversation de salon au château

Le dimanche en fin de matinée, le XVIIIᵉ siècle chambriste était à l'honneur au château de Lamotte Bardigues, une somptueuse demeure, reconstruite au XVIIIᵉ siècle, épargnée par la révolution et habitée par la même famille depuis 700 ans !

Alice Szymanski au traverso et Albane Imbs au théorbe et à la guitare baroque ont développé une aimable conversation de salon baroque selon un programme français et italien de belle facture. Cette combinaison instrumentale nous semble a priori exotique, mais n'oublions pas que le théorbe était un instrument phare de la période baroque. Il était d'ailleurs le préféré de Louis XIV, qui en jouait, ainsi que de la guitare baroque, en tant qu'élève de . Une suite de danses transcrites par le compositeur lui-même, voisine avec des sonates de Vivaldi et une délicieuse suite de danses du Bolognais à la guitare baroque. Pour sa part, Alice Szymanski délivre une suite pour flûte seule de Joseph de Boismortier, impressionnante de virtuosité. Une vigoureuse chaconne de conclue ce programme aussi charmant qu'original.

Retour à Montauban l'après-midi pour une projection presse en avant-première du film documentaire Mémoires Baroques, une traversée des Passions, sur le voyage de l'ensemble en Bolivie, à l'invitation du festival international de musique baroque « Misiones de Chicitos », en 2018. Les Passions s'étaient produites avec le chœur bolivien Arakaendar dans une formidable rencontre par-delà les continents et les siècles. La musique baroque occidentale apportée aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles par les colonisateurs espagnols et portugais, mais surtout par les pères jésuites, qui en firent un outil d'évangélisation, a été appropriée par ces populations amazoniennes, qui l'ont conservée et fait vire à leur manière. Elle nous revient aujourd'hui grâce au travail de chercheurs, historiens, musicologues et surtout musiciens.

Autour de la Méditerranée avec Les Éléments

Ce premier week-end s'achève au Théâtre Olympe de Gouge avec le chœur de chambre Les Éléments, dans un de ses programmes phare Méditerranée Sacrée. C'est un voyage de huit siècles de musique sacrée sur ces rivages où des chefs-d'œuvre de la polyphonie de la Renaissance répondent à des pièces contemporaines en grec ancien, en latin, en arabe et en araméen, sans oublier des pièces en hébreu qui introduisaient la polyphonie à la synagogue au début du XVIIᵉ siècle. Du Livre Vermeil de Montserrat aux interrogations du compositeur libanais Zad Moultaka, il s'agit d'un dialogue constant entre époques, langues, styles et religions différentes dont ce bassin a toujours été fertile. L'alternance entre pièces anciennes et modernes avec d'incessantes ruptures de rythme, installe un climat de ferveur et d'élévation accentué par des dédoublements de chœur pour certaines pièces, qui permettent de saisissants effets de spatialisation sonore.

Ferveur et précision dominent tout au long de ce programme d'une impressionnante virtuosité chorale, ainsi que nous a habitués depuis bientôt trois décennies. Le sommet du programme est sans doute atteint avec les Trois fragments des Bacchantes d'Alexandros Markeas sur un texte d'Euripide. La bénédiction Barechu et le Kaddish de Salomone Rossi, ce très habile compositeur juif contemporain de Monteverdi au service de la cour des Gonzague à Mantoue, ainsi que le Crucifixus à 8 voix d'Antonio Lotti, sont saisissants de profondeur. Et comment rester insensible au Lama sabaqtani de Zad Moultaka où L'ultime exclamation du Christ prend sa source sur une base de sifflements et de chuchotements, symbolisant le début comme la fin de la vie ?

Crédit photographiques : © Auxie Boivin

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