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Le Philhar’ et Mikko Franck souverains dans Britten, Ravel et Debussy

Le Philhar' et son directeur musical continuent sur leur superbe lancée, initiée depuis le début de saison, avec ce beau programme, original et bien conçu, véritable fête orchestrale associant Britten (Sérénade pour ténor et cor, Interludes marins) Ravel (Une barque sur l'océan) et Debussy (Six épigraphes antiques).

Après une Mer de Debussy puissante la semaine passée, la phalange radiophonique poursuit son parcours dans les embruns avec ce concert aux couleurs maritimes, pilotée de main de maitre par dans les balancements langoureux et lancinants d'Une barque sur l'océan de . Authentique « poème de la houle et de l'écume », composée initialement pour piano (3e pièce de Miroirs) en 1905, puis orchestrée secondairement (1907) cette pièce pleine de charme nous emporte dans ses ondulations fluctuantes (cordes) et irisées (trompette, cor anglais, piccolo et harpe) où maintient parfaitement le cap par la souplesse du phrasé, par sa richesse en nuances traduisant l'imprévisibilité des flots, comme par sa parfaite maitrise rythmique.

Bien différente la Sérénade pour ténor, cor et cordes de met face à face le ténor finlandais et le corniste dans un dialogue coloré où la parole circule de l'un à l'autre. Composée en 1943 à l'intention de Peter Pears, cette œuvre rarement donnée en concert comprend huit sections différentes s'inspirant de différents poètes britanniques dont Charles Cotton, Alfred Tennyson, William Keats, Ben Johnson et John Keats. Huit sections pour huit climats distincts réunis autour des thèmes de la nuit et de la mort : après un Prologue et un Epilogue confiés au seul cor, la sérénade déploie une Pastorale évoquant le soleil couchant où les deux solistes s'entretiennent de concert ; un Nocturne flamboyant où le cor se fait l'écho de la voix ; une Elégie plus ténébreuse qui voit le cor dominer dans un beau solo soutenu par les contrebasses et les cordes en sourdine ; un Chant funèbre qui laisse le ténor déclamer sur un fond de cordes graves avec une entrée secondaire du cor dans un climat de deuil et de colère contenue ; un Hymne où cor et ténor rivalisent de virtuosité dans des vocalises ; un Sonnet qui constitue le moment le plus lyrique porté par la complicité entre cordes et voix. Les deux solistes nous livrent de cette joute originale une interprétation parfaitement convaincante où l'on admire les qualités vocales de que l'on découvre à Paris (timbre, puissance, diction) autant que la belle sonorité toute en nuances et la virtuosité du corniste , cor solo de l'orchestre.

La seconde partie de concert est totalement dédiée au grand orchestre avec deux œuvres périlleuses à l'orchestration foisonnante, deux exercices d'orchestre et de direction dont la juxtaposition, certes roborative, n'est peut-être pas des plus judicieuses… Abondance de biens ne nuit pas nous dit le proverbe…

On connait l'appétence de Mikko Franck pour la musique française, aussi est ce tout naturellement par que se poursuit cette belle soirée avec les Six épigraphes antiques. Si la maladie empêcha hélas le compositeur d'effectuer l'orchestration de ces pièces initialement prévues (1914) pour piano à quatre mains, Ernest Ansermet répara cette lacune en 1932 dans un style typiquement debussyste que le grand Claude de France n'eut pas démenti. Une œuvre rare au concert, d'un grand raffinement harmonique, faite de six épisodes qui font successivement briller la petite harmonie (hautbois, flute, cor anglais) et la harpe : Pour Pan, Dieu du vent d'été en forme de pastorale, très lyrique entamée à la flute ; Pour un tombeau sans nom, sorte de longue méditation statique qui fait la part belle au cor anglais et aux cordes graves ; Pour que la nuit soit propice, toute en glissandi et scintillements (harpe) portée par une mélodie d'une belle expressivité ; Pour la danseuse aux crotales, toute en souplesse ; Pour l'égyptienne d'un exotisme empreint de sensualité débordante ; et enfin, Pour remercier la pluie du matin, nimbée de fraicheur et de ruissellement. Là encore Mikko Franck et le Philhar' se trouvent réunis et complices pour nous offrir une très belle lecture qui associe clarté de la polyphonie, précision de la mise en place et performances individuelles de haute tenue.

Retour au thème de la mer, pour conclure de manière cohérente cet audacieux programme, avec les Quatre interludes marins de Britten, extraits de l'opéra Peter Grimes. Cette suite orchestrale fut composée en 1945 comme une succession de pièces d'évocation se référant aux atmosphères changeantes du petit bourg de pêcheurs et de la mer où se déroule l'action. Sur un phrasé très narratif faisant intervenir par petites touches tous les pupitres de l'orchestre, Mikko Franck en dresse un tableau passionnant et coloré qui fait briller les pupitres dans une féérie de timbres : si l'Aube s'attache à décrire un matin gris et calme en bord de mer avec son tempo tranquille faisant intervenir successivement violons, altos et fanfare de cuivres, Dimanche matin est, en revanche, plus animé et festif, en associant cors, bois et cloches tandis que Clair de lune surprend par son statisme sur un ostinato de cordes graves, cors et de la petite harmonie d'où émergent les traits de flute, harpe et xylophone, la Tempête conclut cette œuvre riche par une pyrotechnie orchestrale (percussions, cordes) sur une dynamique décapante. Bravo!

Crédit photographique : © Christophe Abramowitz

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