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Semyon Bychkov et le Philharmonique tchèque : Mahler pour toujours…

Pour ce deuxième concert, le Philharmonique tchèque et Semyon Bychkov effectuent un retour aux origines avec la Symphonie n° 7 de Gustav Mahler qui fut créée il y a 115 ans par cette même phalange, à Prague, sous la direction du compositeur : une belle leçon de musique !

On connait les liens étroits qui unissaient la phalange tchèque à Gustav Mahler puisqu’il créa à Prague plusieurs de ses symphonies. Une longue tradition mahlérienne qui s’est pérennisée au fil du temps avec différents chefs et notamment Vaclav Neumann qui grava avec le Philharmonique tchèque une intégrale des symphonies du compositeur qui fait encore autorité aujourd’hui. Grand mahlérien, Semyon Bychkov reprend aujourd’hui le flambeau avec une nouvelle intégrale en cours au disque et de multiples opus symphoniques du compositeur donnés en concert régulièrement de par le monde. Rarement donnée en concert, malgré une discographie pléthorique (plus de cent références), la Symphonie n° 7 compte parmi les plus difficiles du fait de son ambiguïté : romantique par son inspiration (La nuit) mais également moderne par son instabilité tonale qui ouvrira la voie à la musique nouvelle de la seconde école de Vienne.

Déroutante et mystérieuse par ses outrances sonores et ses combinaisons de timbres, obscure dans son inspiration, complexe dans son organisation en cinq mouvements disparates, et délicate dans sa réalisation, la Symphonie n° 7 est encore la mal-aimée et la moins jouée du corpus symphonique mahlérien. Sans chercher à en percer le mystère, ni à s’inscrire dans la vaine quête d’une hypothétique unité, Semyon Bychkov, souvent plus percutant en concert qu’au disque, nous offre de ce « Chant de la nuit » une interprétation pertinente qui s’applique à en démontrer toute la beauté orchestrale dans une succession de climats différents qui étalent leurs couleurs propres, servie par une phalange praguoise riche de ses superlatifs pupitres et soutenue par une direction magistrale d’inspiration.

Véritable patchwork musical, le premier mouvement Allegro voit la musique progressivement émerger de l’obscurité pour se mettre en marche au son du tenorhorn : une marche d’allure militaire d’abord sur un phrasé tendu aux appuis rythmiques marqués et une dynamique allante ; une progression volontiers polymorphe où se succèdent des nuances outrées, des ruptures rythmiques et des ébauches thématiques tronquées et dissonantes ; bientôt suivie d’une autre marche annoncée par la trompette et la petite harmonie, lyrique voire extatique celle-là, où le legato sublime des cordes se substitue aux attaques tranchantes antérieures. On admire, dans ce foisonnement de timbres, la sonorité du magistral pupitre des cors, la pertinente spatialisation des cuivres, les nombreux contrechants exaltés par la clarté de la texture, tout comme la direction de Semyon Bychkov, mouvante, attentive aux entrées et relançant sans relâche la dynamique.

La première Nachtmusik, qui constitue avec le Scherzo central et la seconde Nachtmusik le cœur de l’œuvre dans une authentique danse des ombres, s’ouvre sur un appel du cor solo avant de déployer un inventaire de tous les thèmes mahlériens : souvenir de « marche militaire patrouillant dans un clair-obscur fantastique », références à l’enfance, hymne à la nature (chants d’oiseaux, ironiques cloches de vaches), mais surtout un évident rappel du Wunderhorn et de « Revelge » en particulier. On note une fois encore l’omniprésence du cor, la superbe cantilène des violoncelles et le beau dialogue entre cor et clarinette.

Le fantomatique Scherzo annoncé par les timbales développe un climat mystérieux dans lequel la musique circule d’un pupitre à l’autre avec une belle fluidité et d’enivrants tourbillons dans lesquels certains ont pu voir la transposition d’une danse macabre médiévale, ou d’autres les prémisses annonciatrices de la Valse de Ravel par son caractère bancale et déhanché, un peu grotesque, où se distinguent tout particulièrement les hautbois et les violoncelles.

La seconde Nachtmusik surprend d’emblée par son instrumentarium qui fait appel à la mandoline et à la guitare pour en renforcer le caractère de sérénade nocturne, d’inspiration romantique eichendorffienne d’après les dires d’Alma. Un mouvement empreint de lyrisme prégnant et obstiné porté par le violon solo, la harpe, le cor et la clarinette, baigné d’une transparence inquiétante au gré des multiples variations superbement enchainées par Semyon Bychkov.

Par son étrangeté le Rondo-Finale rejoint l’Allegro initial, mais ce qui émergeait de l’ombre primordiale se trouve maintenant et paradoxalement nimbé de la pleine lumière du soleil de midi dans un galop orchestral triomphal éblouissant dont Bychkov ajuste de façon impériale la progression inexorable où les cuivres s’époumonent, les fanfares beuglent, les bois se cabrent, les cordes virevoltent, les percussions tonnent et les contrebasses vrombissent au sein d’ une coda apocalyptique qui redonne forme au chaos mettant un point final à cette démonstration orchestrale.

De ce mystérieux palimpseste musical qu’est la Septième symphonie, Semyon Bychkov et le Philharmonique tchèque auront su exploiter le meilleur, c’est-à-dire la musique, dans un brassage d’olympien et de dionysiaque, de diabolique et de lumineux, de désespérance ironique et de pure joie, c’est à dire tout Mahler… Bravo !

Crédits photographiques : © Petra Hajska

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