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Eloquence réédite enfin les légendaires gravures Mercury de Paul Paray à Detroit

Couvert d'honneurs de son vivant (premier grand prix de Rome de composition en 1911, membre de l'Institut, Grand croix de la Légion d'honneur), (1886-1979) est aujourd'hui injustement oublié. Pourtant, aux côtés de Pierre Monteux et de Charles Munch, il fut l'un des plus grands chefs d'orchestre français de son époque, et comme ses deux confrères, une véritable légende aux États-Unis. Quel bonheur de retrouver aujourd'hui réunis à nouveau ses enregistrements réalisés à Détroit entre 1953 et 1962 !

Après avoir entre les deux guerres dirigé les orchestres Lamoureux et Colonne, commença à se faire connaître aux États-Unis une fois la paix revenue, par quelques concerts avec les orchestres de Boston et Philadelphie. C'est vers lui que se tournèrent les mécènes de l'orchestre de Détroit, un ensemble à reconstruire après quelques péripéties relatées avec précision dans l'excellent livret qui accompagne ces deux volumineux coffrets (hélas, seulement en anglais).

Ce sont ses enregistrements réalisés dans diverses salles de Détroit qui figurent intégralement dans ces deux ensembles, respectant les couplages des LP originaux, d'où des minutages très faibles (la plupart des CD dépassent à peine la demi-heure). Le répertoire est très révélateur de l'art de Paray, mais aussi des contraintes des premiers temps du microsillon et de la volonté de Mercury de complémentarité sans concurrence entre ses chefs sous contrat à l'époque (outre Paray, Dorati à Minneapolis et plus fugitivement Kubelik à Chicago). Ces enregistrements comptent peu d'intégrales hormis celle des symphonies de Schumann, épatante d'énergie et d'élan, mais sans que la Quatrième très enlevée puisse rivaliser avec la quasi-contemporaine (1953 elle aussi) gravure légendaire de Furtwängler à Berlin ; du même calibre, une étonnante Deuxième de Rachmaninov, avec les coupures d'usage à l'époque. En revanche, avouons que les quelques symphonies éparses de Beethoven (1, 2, 6 et 7) valent surtout par la « Pastorale », fraîche et merveilleusement illustrative qui correspond à ce que nous redécouvrons comme des constantes dans l'art du chef : précision, équilibre, élan et énergie. Les divers récitals (purement orchestraux) de Wagner illustrent ainsi cette vision française du compositeur, apprise sans doute avec les orchestres Lamoureux et Colonne dans l'entre deux guerres, à mille lieues de la démesure d'un Knappertsbusch. De même les quelques ratages (relatifs) touchent surtout des pages du répertoire obligé, en particulier la Symphonie n° 2 de Sibelius et la Symphonie « Nouveau monde » de Dvořák, peu convaincantes. Le meilleur réside dans les nombreux témoignages de musique française, auxquels on ajoutera des Rimski-Korsakov enthousiasmants, y compris la trop délaissée de nos jours symphonie Antar malgré les limites de l'orchestre au début du contrat du maestro. Les Debussy et Ravel rivalisent de finesse, d'élégance et de naturel, les grandes symphonies françaises sont inégalables : Franck deux fois (en mono et en stéréo), Chausson, Berlioz, et surtout la fabuleuse Troisième de Saint-Saëns avec l'ami de toujours, . Là encore, ce Franck tout de lumière est à l'opposé des conceptions presque brucknériennes de Furtwängler puis Karajan et Giulini.

Et puis il y a ce répertoire qu'on a délaissé trop aujourd'hui : les Escales d'Ibert, dont Paray fut le créateur (elles aussi deux fois), la torride Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, littéralement époustouflante, et toutes ces ouvertures et ballets qu'on ne joue plus guère non plus d'Hérold, Auber, ou Ambroise Thomas. En quarante-cinq CD c'est un monde à redécouvrir, dont on ne jettera guère que l'épouvantable The naked Carmen, opéra rock de Garigliano réutilisant en 1970 des extraits de Carmen gravés par Paray en 1956. Ultime bonus et seul disque concertant, les deux concertos tardifs de Ravel par (DG) et le National de France sont eux aussi de la plus belle eau. Enfin un CD se distingue tout particulièrement, celui où Paray dirige sa propre Messe pour le cinquième centenaire de a mort de Jeanne d'Arc (1931), laquelle rappelle qu'il fut, à l'origine, un compositeur particulièrement talentueux dont les œuvres ont d'ailleurs fait l'objet d'une édition discographique par le Révérend Père Eduard Perrone.

Tout mélomane curieux de la direction d'orchestre se doit de découvrir cette somme qui rend justice à un immense musicien.

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