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Un Casse-Noisette nouveau par Edward Clug pour le Ballet de Stuttgart

signe une version délicatement modernisée de Casse-noisette, qui pourrait encore gagner en cohérence et en intensité chorégraphique.


Une troupe de danse classique sans Casse-Noisette à son répertoire, est-ce possible ? John Cranko avait bien réalisé sa version en 1966, mais la chorégraphie en est perdue depuis longtemps ; Marco Goeke s'en était inspiré en 2006 pour une version courte et très noire, loin de Petipa. Le temps était donc venu d'une nouvelle version : c'est , qui avait déjà signé plusieurs pièces courtes à Stuttgart, qui a été choisi, avec l'aide d'un vétéran de l'ère Cranko, le décorateur et costumier .

Créée un mois pile avant Noël, cette nouvelle version remplit son contrat : proposer un divertissement familial, avec une bonne dose de fantaisie, mais sans trop d'aspérités – il y aurait certainement de quoi proposer des versions beaucoup plus tourmentées, mais quel public l'accepterait ? Le principal apport de la version de Clug tient donc dans le renforcement du personnage de Clara, qui est tout sauf la petite fille qui rêve de son prince charmant – à la fin du ballet encore, quand Drosselmeier les marie, elle tente de prendre le large. C'est elle qui vainc (et conquiert) le roi des souris, tombé sous son charme, elle qui au second acte entraîne avec elle Drosselmeier, tout sauf un bon génie tout-puissant.

La narration n'est pas toujours claire : pendant une bonne partie du deuxième acte, Clara cherche son prince-Casse-Noisette, comme une sorte de voyage initiatique où elle fait une série de rencontres, sous forme de versions vivantes des jouets offerts à tous les enfants de la famille par Drosselmeier – mais on ne comprend pas bien pourquoi le prince a disparu, pas plus que la raison de sa réapparition. Ce deuxième acte prend donc pour beaucoup la forme d'une revue, où se succèdent, sur les danses de caractère successives, des toreros, des clowns ou encore des chameaux, le grand succès de la soirée à l'applaudimètre – les deux animaux cachent deux danseurs chacun, et l'animation est virtuose.

La première se termine par une ovation debout, mais ce n'est ni le chorégraphe, ni les danseurs qui la déclenchent : c'est , légende locale, que John Cranko avait pris sous son aile en 1961. Cranko avait déjà signé les décors du Casse-Noisette de John Neumeier, mais son style a beaucoup évolué au cours de ces six décennies au service de la danse, la neutralité chromatique des hauts murs du début du ballet en est un exemple. Mais Rose ne sort de la tradition que pour les parties les plus fantaisistes du spectacle, pas toujours très heureusement (les papillons aux ailes à la fois bariolées et ternes), mais avec une fantaisie certaine. La présence permanente des noix, entières ou brisées, dans le décor inscrit décidément la pièce dans le domaine onirique, tout comme le thème des jouets qui s'animent ; on est donc loin du réalisme de la version de Neumeier, dans laquelle Clara suivait un parcours initiatique à travers le monde de la danse. Il y a aussi un parcours initiatique ici, mais la situation de départ comme le point d'arrivée en sont moins nettement définis, moins nécessaires – ce qui ne retire rien à la divertissante efficacité de ce défilé de jouets animés.

Le roi et les jouets


Plutôt que dans sa force émotionnelle ou dans sa pertinence narrative, ce sont les moments véritablement dansés, par les trois personnages principaux, qui convainquent le plus, bien plus que l'enchaînement de passages décoratifs. Le premier grand moment est celui où Drosselmeier raconte l'histoire de son neveu, beau jeune homme transformé par magie en casse-noisette : puis pour la deuxième distribution jouent donc côté face le neveu, côté dos le casse-noisette, automate qui n'est pas privé d'émotions. Ce rôle comme les autres de la soirée ne semblent pas donner beaucoup de marge interprétative à leurs interprètes, mais à défaut de pouvoir véritablement approfondir son personnage, l'aisance de Vogel et la pureté de ses lignes, sans effort visible et sans démonstration de puissance, sont un spectacle en soi, alors que Moore reste constamment un peu transparent – un beau danseur classique, certes, mais pas une présence forte.

L'égalité est encore plus grande entre les deux Clara, et , à qui on demande surtout un charme à la fois juvénile et intrépide : le contrat est rempli, avec un égal niveau de danse. Drosselmeier bénéficie beaucoup de l'humour ravageur de , qui n'a certes guère d'occasion de faire jouer son imposante musculature, mais qui réussit à merveille à naviguer entre sa bonhomie protectrice à l'égard de Clara et une forme de distance inquiétante ; là encore, la deuxième distribution, en la personne de (remarquable Armand de La Dame aux camélias), paraît plus effacée. Les autres personnages, eux, sont essentiellement des silhouettes, souvent avec une nette coloration comique ; le frère de Clara, Matteo Miccini, a un peu plus à danser, mais on remarquera surtout Sonia Santiago, étoile retraitée du ballet de Stuttgart, en grand-mère qui aime la fête et le bon vin.

Au début de l'acte II, sur une musique rajoutée à la partition originale, Clara et Drosselmeier dansent un court duo avant d'entamer leurs recherches, un moment tendu et intense, original et sensible ; de même, les duos de Clara et du beau neveu donnent aux amateurs de grands frissons classiques ce qu'ils attendent, comme ce beau porté à la fin du spectacle qui rappelle les grandes heures de la renaissance du ballet dramatique initiée par Cranko et Neumeier. La chorégraphie de Clug mérite bien d'être vue et revue, mais – et c'est un peu le piège récurrent de Casse-Noisette – on aimerait simplement en voir un peu plus, et un peu moins de jouets animés.

Crédits photographiques © Roman Novitzky/Stuttgarter Ballett (première distribution)

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