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Odette Gartenlaub, archétype de la Musicienne, bientôt re-connue

est un cas chimiquement pur d'une musicienne accomplie, honorée et pourtant oubliée. On pourrait dire une de plus ? L'album paru à l'occasion du centenaire de sa naissance est une belle occasion d'écouter – et non pas d'entendre – sa musique. Et d'entamer une réappréciation réelle de son apport.

Le centenaire de la compositrice, pédagogue et pianiste (1922-2014) aura été dignement fêté, avec constitution d'une association dédiée, pose d'une plaque commémorative sur l'immeuble parisien où elle a vécu, exposition virtuelle à la SACEM et édition du présent album, réunissant des enregistrements des années 50 et 60 avec rien moins que et .

En quoi cette musicienne est-elle remarquable sur un plan historique ? Née à Paris de parents juifs d'origine d'Europe centrale, remarquée au Conservatoire de Paris avant guerre avec un premier prix à l'unanimité à 14 ans, renvoyée du Conservatoire en 1941 comme tous les professeurs et les élèves ayant les mêmes origines (ce sera la seule institution d'enseignement supérieur en France à prendre une mesure aussi radicale, « ce n'est pas rien » commentera-t-elle sobrement en 2004), elle survit à la guerre et parvient à décrocher le Second prix de Rome dès 1947, puis le Premier Grand prix en 1948. Elle devient professeur au Conservatoire de Paris en 1959 et amorce une grande réforme du solfège en 1976, grâce à son travail avec le Ministère de la Culture. Un parcours remarquable, mais qui n'a pas empêché l'oubli.

En quoi doit-elle avoir une place particulière et durable dans nos mémoires ? Parce qu'elle incarne la Musique. Parce que cette femme frêle, d'une résilience extraordinaire, s'est attaquée au pire fléau à s'être abattu sur les apprentis musiciens français, des générations durant, et dont elle avait sans doute elle-même souffert : une conception a-musicale de l'enseignement, incompréhensible pour les autres nations musiciennes, qui a vu l'apprentissage théorique du solfège prendre le pas sur la pratique. Avec la réforme qu'elle a entamé – un combat d'une vie voire de plusieurs – elle a remis la Musique en premier. En quelque sorte, Prima la musica, poi la tecnica. 

Et cette essence musicale qui l'imprégnait s'entend. Les œuvres proposées ici rassemblent des partitions composées dans les années 50. Elles sont remarquablement écrites, caractéristiques de l'époque et de cette voie médiane où la modernité cherchait à avancer avec le public et non sans lui. Un souci d'équilibre dont les contemporains ne retiendront que le manque de radicalité, et par là l'inintérêt. Entre Mozart et Boulez, pas de troisième voie. Si le Mouvement symphonique de 1954 et son Concerto pour piano et orchestre de 1957 affirment une orchestration rythmique et charpentée de cuivres qui n'exclut pas l'élégiaque, le Concerto pour flûte et orchestre, avec dirigeant l'ORTF et en soliste (première flûte de l'Opéra de Paris de 1962 à 1991), est particulièrement remarquable. La flûte semble comme un oiseau ivre de liberté. À la première audition on peut s'interroger sur la direction, le sens de l'œuvre. Mais il n'y a pas de sens, pas de direction, il y a seulement la musique, la liberté, une forme d'extase dans la joie, éthérée et suspendue. Une sorte de Messiaen (dont elle ne voulut pas suivre l'enseignement) sans la religion. Il faut garder en mémoire que cette musique si intensément libre a été écrite par une compositrice qui, dix ans auparavant, venait de passer quatre années, dans sa vingtaine d'années, dans la clandestinité. Fascinant.

Jean-Michel Ferran, auteur du livret et d'une biographie Odette Gartenlaub. Les vies multiples d'une musicienne du XXe siècle (2017, Aedam Musicae), nous indique que parmi ses cent-cinquante partitions, la plus achevée, son Concert pour clarinette, orchestre à cordes, percussion, piano et harpe (1973) n'a pas encore été créée. Mais quelle bonne nouvelle ! Car on entre seulement maintenant dans une époque capable d'entendre sa musique et de comprendre la force de son apport. La créer plus tôt, cela aurait été trop tôt, le temps d'Odette Gartenlaub c'est à partir de maintenant.

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