- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Un Orgelbüchlein de Bach éclairant et émouvant par Benjamin Alard

Chaque nouvel album de l'intégrale pour clavier de par apporte une pierre scintillante. Son approche des 45 chorals du Petit livre d'orgue replace ces œuvres dans leur signification spirituelle que renforce la présence de deux ensembles vocaux d'une rare beauté.

poursuit avec une constante inspiration son intégrale Bach pour le clavier (lire notre entretien). Ce volume 7 comprenant deux CD est entièrement consacré à l'Orgelbüchlein (Petit livre d'orgue). Il s'agit d'un cahier manuscrit encore conservé à la bibliothèque musicale de Berlin contenant 45 chorals, plus un inachevé. Le projet de Bach était beaucoup plus ambitieux puisqu'il prévoyait en tout 164 chorals. De nombreuses pages sont restées vierges, avec seulement l'inscription du titre du choral. Ce travail remonte aux années où le compositeur fut employé à la cour de Weimar, de 1708 à 1717. Comme très souvent chez Bach le but de ce recueil est pédagogique, il dit clairement qu'il s'adresse à l'organiste débutant qui souhaite se perfectionner dans l'art du pédalier. La destination de ces pièces est de préluder au choral qui sera chanté juste après afin d'en faire entendre la mélodie, le rythme et la tonalité à l'assemblée des fidèles. Il parait donc judicieux de réunir la pièce d'orgue et le choral pour lequel elle est destinée. C'est ce que propose et les chanteurs de deux ensembles remarquablement dirigés par et .

Habituellement joués seuls et à la suite, bien que classés par Bach par temps liturgique (Avent, Noël, Pâques…), ces chorals sortent souvent de leur contexte et leur signification profonde s'en trouve diminuée. Au contraire, la présente production révèle intensément la compréhension intrinsèque des œuvres où le texte occupe une place primordiale. On se souvient d'Albert Schweitzer qui grâce à sa culture protestante avait montré à Charles-Marie Widor l'importance de ces rapprochements. Il faut essayer de se replacer dans le contexte de l'époque où le chant à l'église luthérienne était fondamental. Luther l'avait placé au centre même du culte comme prolongement même de la parole. Un livre de chant contenant plus de 200 chorals avait été élaboré par Luther lui-même qui avait repris des thèmes venus du grégorien (il avait été moine), ou composés par lui-même et qui étaient alors devenus populaires et chantés par tous. L'assemblée pouvait ainsi dialoguer avec l'orgue qui conduisait les voix de manière solide et rassurante. Cette manière de vivre la parole en musique existe encore de nos jours dans de nombreuses paroisses protestantes où tout repose sur l'orgue. Cela explique sans doute le choix du temple du Foyer de l'âme à Paris, un lieu très favorable à une telle réalisation. Cet endroit possède de plus un orgue présentant un élégant buffet de 1907 dans lequel Quentin Blumenroeder a construit à neuf en 2009 une partie sonore s'inspirant des instruments de Thuringe du XVIIIᵉ siècle, joués par Bach. Un orgue conçu essentiellement pour le continuo et l'accompagnement liturgique, disposant de jeux caractéristiques voulus par Bach lui-même (Basson de 16, Sesquialtera, divers fonds de 8 pieds). C'est en France l'un des plus beaux instruments du genre.

Chacun des 45 chorals du Petit livre d'orgue est ainsi entendu associé à sa mélodie harmonisée et chantée. Le résultat est éclairant. Ainsi présentés les cartes sont complètement rebattues pour une interprétation des chorals qui s'intègre harmonieusement au chant. Pour cela, Benjamin Alard cultive largement et avec imagination la diversité au niveau des jeux employés, des tempi et du choix même du texte musical accompagnant le chœur. Chaque couple choral/harmonisation offre ainsi une approche différente, à chaque fois. Le chœur peut être à l'unisson ou à deux voix, parfois en voix féminines, masculines ou les deux. L'orgue peut accompagner « piano » ou de manière plus soutenue sur des jeux d'anches et jusqu'à l' »Organo pleno » (Plein-jeu et Posaune 16 de pédale). Parfois le chœur chante au dessus du choral écrit par Bach lui servant d'accompagnement à part entière, de manière assez magique. La personnalité de chaque choral est ainsi soulignée. Joués à la suite, il s'en dégage une unité inouïe, les chorals pouvant parfois s'enchainer très rapidement. L'orgue peut aussi isoler la mélodie au soprano à l'unisson du chœur ou jusqu'à se taire complètement et laisser le chœur a cappella. On comprend là le côté pédagogique et lumineux d'une telle approche. Les deux chœurs aux saveurs fraiches et variées se répandent harmonieusement dans l'acoustique intime du temple. La présence d'un chœur d'enfant apporte une clarté déterminante qui dessine et exprime avec émotion le choral.

Une telle interprétation permettra d'écouter à l'avenir autrement l'Orgelbüchlein, même privé du chœur, où le texte prend ici une place fondamentale, pierre angulaire de l'édifice, comme Bach l'a montré dans ses cantates ou d'autres séries de chorals (Leipzig ou Dogme). Le jeu inspiré, profond et aéré de Benjamin Alard fait merveille dans ces pièces, au travers de ses choix hautement informés. Les voix portées par les deux cheffes contribuent grandement à la réussite de ce coffret, une nouvelle référence émouvante et réjouissante.

Lire aussi : nos articles consacrés à l'intégrale pour clavier de Bach par Benjamin Alard

(Visited 586 times, 1 visits today)