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Il mondo della Luna de Haydn à Metz, NASA contre KGB

Une interprétation musicale solide rencontre une mise en scène qui n'a pas confiance en l'œuvre.

On ne voit pas assez les opéras de Haydn en scène, encore et toujours ; les occasions n'ont pourtant pas manqué, depuis deux décennies, de constater qu'au-delà même du plaisir musical ils ont beaucoup à offrir pour peu que le metteur en scène ait un peu d'ambition, d'Axel Ranisch à Richard Brunel, de Marie-Ève Signeyrolle au duo Hosseinpour/Lowery (pour un Orlando paladino filmé avec René Jacobs chez EuroArts).

a choisi, pour cette coproduction entre la maison qu'il dirige à Clermont-Ferrand et l'Opéra-Théâtre de Metz qui en accueille la création, de monter Il Mondo della Luna, dont le livret est comme souvent chez Haydn peu attirant ; mais quoi de plus attirant qu'un autre monde comme alternative au nôtre ? Le metteur en scène choisit d'encadrer l'action par un récit surimposé à la manière de Dmitri Tcherniakov : ici, nous sommes en 1969, l'homme n'a pas encore marché sur la lune (mais ça ne saurait tarder), Russes et Américains s'espionnent, le savant russe Ecclitico entend utiliser la famille du responsable américain Buonafede alias Goodfaith pour faire pression sur lui – mais la NASA est plus maline. Pourquoi pas, mais cette sage comédie n'est au fond pas beaucoup plus profonde que la banale comédie matrimoniale imaginée par Goldoni, dont les livrets n'ont hélas pas le même mordant et le même sens des entre-deux sentimentaux que ses pièces de théâtre. Et le spectacle ne saisit pas même ce que lui offre l'œuvre : la misogynie obsessionnelle dont Buonafede ne cesse de faire preuve tout au long de l'opéra est présente, mais elle est simplement montrée comme ridicule, produit de la sottise du personnage au demeurant sympathique : c'est un peu léger, d'autant que c'est un véritable moteur de l'action, combiné à la demande inextinguible de liberté des personnages féminins que Goldoni a souvent mis en scène.


Pour mettre en place son récit, il supprime purement et simplement tous les récitatifs, remplacés par des dialogues parlés qui n'hésitent pas à mordre sur les introductions orchestrales des airs. Les chanteurs d'opéra ont souvent du mal avec les textes parlés ; ce n'est heureusement pas le cas ici, avec une direction d'acteurs qui les met visiblement à l'aise. Mais le metteur en scène, lui, ne fait visiblement confiance ni à l'œuvre, ni au spectateur, qui comprend l'histoire surajoutée, pas très compliquée, sans qu'il soit nécessaire de tant insister. Un chronomètre dirait sans doute le contraire, mais on a la sensation que les parties parlées durent plus longtemps que la musique de Haydn, et il faut espérer que les spectateurs de Clermont-Ferrand bénéficieront d'une version resserrée et un peu plus rythmée – l'interminable précipité avant le troisième acte, à dix minutes de la fin du spectacle, est une faute artisanale qu'il faut corriger urgemment.

Le premier air de Buonafede est un bon exemple : les différentes situations qu'il voit dans le télescope sont assez explicites pour qu'il ne soit pas nécessaire d'interrompre la musique après chacune pour souligner le trait. On n'ira pas dire que les récitatifs de Haydn sont des trésors musicaux, mais ils insufflent une dynamique d'un air à l'autre : ici, on en vient parfois à se demander pourquoi diable les airs viennent ainsi parasiter le théâtre, ce qui n'est pas le meilleur service à rendre à la musique de Haydn.

Le très jeune chef , nous dit-on, a dirigé une bonne partie des répétitions, remplaçant le directeur musical de l' aussi pour les trois représentations prévues : à 23 ans, il parvient à tenir ses troupes, à faire efficacement dialoguer scène et fosse, à faire avancer la musique, et c'est déjà considérable ; on ne peut pas lui demander à ce stade une vision plus investie, et un peu plus d'énergie sans perdre en nuances ne serait pas une mauvaise chose. Du moins la solide distribution réunie ici peut trouver à s'exprimer, sans incarnations marquantes, mais sans faiblesse : constamment présent, en Ecclitico assure sa double tâche théâtrale et musicale avec un réel brio ; chez les dames, dont les personnages auraient dû être approfondis par la mise en scène, c'est peut-être en Lisetta qui s'impose, avec un accessit pour dans le court rôle travesti d'Ernesto.

Crédits photographiques : © Luc Bertau – Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz

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