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Kabylie mon amour, par Amel Brahim-Djelloul

Après Les Mille et une nuits et Amel chante la Méditerranée – Souvenirs d'Al-Andalous, fait un focus sur la musique kabyle dans Les Chemins qui montent. Un disque envoûtant.

Pour la France musicale, la Kabylie porte un nom : Idir. En 1976, le premier album de celui que rien ne destinait à la célébrité planétaire (de son vrai nom El Hamid Cheriet) contenait A Vava inouva. Cette chanson, aujourd'hui considéré comme le premier tube venu d'Afrique, pénétra dans des oreilles qu'elle ne quittera plus. Quelques plages plus loin, le sublime Assendu y adoptait la même technique de charmeur de serpent pour imposer le style Idir : un subtil alliage orient-occident dont le dépouillement instrumental et l'inspiration mélodique n'étaient pas sans dessiner les contours d'un Cohen berbère.

Idir chantait A Vava inouva en duo avec Zahra. En 2014, c'est avec qu'Idir chanta en duo une autre de ses compositions : Ay a Lxir-inu. Un moment marquant pour la soprano franco-algérienne dont la musique du barde kabyle avait bercé la jeunesse avant qu'elle ne s'envolât vers les capitales lyriques pour la carrière que l'on sait : lauréate du deuxième Jardin des voix, familière de Mozart, Haendel, Monteverdi, Debussy, Rameau (elle était des géniales Indes galantes vues par Laura Scozzi), , éblouie par la lumière européenne, n'a pas oublié celle de l'Algérie de son enfance. Son soprano toujours gracieux et bien conduit revient agrémenté de quelques mélismes propres à la musique orientale, sans affectation (un unique crescendo de diva en fin de parcours sur le Mara d-yugal de Djamel Allam) à un répertoire né de la lumière algérienne, des paysages-mêmes de cette Kabylie éternelle, dont les montagnes plongent dans la mer immense, et où les Berbères (premiers humains d'Afrique du Nord) s'appelant eux-mêmes les « hommes libres » (Amazighs), bien que par trois fois colonisés (Italie, Arabie, France) n'aspirent qu'à vivre leur vie en paix.

Idir ressuscite par quatre fois (ineffable Ajeğğig) sur ce disque né dans la foulée de sa disparition en 2020, qui consacre trois plages à Djamel Allam et à la poétesse-interprète Taos Amrouche, respectivement décédés en 2018 et en 1976, année qui peut rétrospectivement être vue comme celle du passage de relais à Idir. Dix titres ciselés par un instrumentarium aux pouvoirs ensorcelants. Comme avec Idir, la guitare montre la voie à la viole de gambe, la harpe, le ney, la mandoline et sa petite sœur algérienne la mandole, aux percussions orientales (derbouka, daf, bendir, tar), au violon de Rachid Brahim-Djelloul mais aussi à un quatuor à cordes : ,

Les Chemins qui montent, histoire d'un passé (c'est le titre d'un roman de Mouloud Ferraoun, autre kabyle célèbre, assassiné par l'OAS en 1962), est aussi l'histoire d'une rencontre tournée vers l'avenir. Celle du poète Rezki Rabia, kabyle lui aussi, qui accompagna ses conseils linguistiques à une interprète née à Alger (le kabyle se démarque de l'arabe en plus d'un endroit) d'une livraison de poèmes que la chanteuse fit aussitôt mettre en musique par son complice guitariste, . Quatre inédits, au moins aussi inspirés que leur aînés, complètent donc cet harmonieux voyage en Kabylie : c'est d'ailleurs l'immédiatement étreignant Axxam n ugellil qui ouvre le disque, auquel revient la mission de placer l'humain au centre de la vie.

Les Chemins qui montent se conclut par un point d'interrogation : sur Tahuzutt, berceuse du groupe Djur Djura, la voix reste seule à questionner le silence après avoir évoqué la fête, la poésie, l'amour, la bonté, la beauté, la vieillesse, l'enfance, la mort, la liberté. Prégnant contrepoint musical au délétère militaire d'une Histoire encore lourde de conséquences, Les Chemins qui montent est un exorde adressé de l'intime au Monde.

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