Rarement réunis au disque, les deux œuvres quasi contemporaines ressusciteraient presque la fameuse querelle qui n'eut jamais vraiment lieu. Belle interprétation de la part du Concert Spirituel et d'Hervé Niquet, même si le véritable intérêt du disque réside dans la découverte du Requiem de Salieri.
Quand l'on sait la fiction, propagée par le film Amadeus de Miloš Forman, selon laquelle Salieri aurait été associé à la commande du Requiem, ainsi que les propos que le compositeur aurait tenus sur son supposé empoisonnement de Mozart, il est étonnant que les deux œuvres n'aient jamais été auparavant réunies sur le disque. Voilà qui est désormais chose faite, et l'on rendra grâce à l'idée d'Hervé Niquet d'avoir eu l'idée de proposer le Requiem de Salieri au côté du chef-d'œuvre mozartien. Belle occasion de goûter le talent d'un musicien injustement éclipsé par l'ombre de celui qui ne fut jamais véritablement un rival.
Composé en 1804, mais créé selon les souhaits du musicien pour commémorer sa propre mort, le Requiem en do mineur d'Antonio Salieri s'inscrit dans une solide tradition polyphonique où l'on sentira autant l'influence de Gluck que celle de Jomelli, avec des accents hiératiques qui annonceraient presque Spontini et Cherubini. De fait, le passionnant texte de présentation joint au CD insiste davantage sur ce qui le rapproche de celui de Mozart, et non sur ce qui l'en éloigne : instrumentation, symbolique associée aux parties vocales, figuralismes musicaux, parties fuguées, etc. L'auditeur jugera. Pour l'ouvrage de Mozart, Hervé Niquet et son Concert Spirituel ne révolutionneront pas une discographie déjà pléthorique, même si l'on ne peut que saluer une lecture propre et virtuose, marquée par des tempi d'une rare rapidité. Des solistes, on notera le soprano velouté de la Moldave Valentina Nafornita, le mezzo agréablement timbré d'Ambroisine Bré, l'émission énergique du ténor Robin Tritschler et l'autorité naturelle de la basse Andreas Wolf. C'est évidemment la présence de l'ouvrage plus rare de Salieri qui fera tout l'intérêt de cet album, dont l'un des mérites est justement de corriger les erreurs et jugements hâtifs entretenus depuis plus de deux siècles par diverses légendes perpétuées, et paradoxalement pour le plus grand bonheur de tous, par nombre d'œuvres fictionnelles. Il était temps de réparer cette injustice de l'histoire de la musique.