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La jeune fille au livre d’André Bon : Un opéra pour la toile

Commande d'Arte qui l'a programmé sur sa chaîne de télévision en 1993, le film-opéra La jeune fille au livre d' revient à l'écran, projeté, le temps de deux séances, dans le petit théâtre Les Rendez-Vous d'ailleurs.

On balance entre l'opéra, car toute l'histoire y est chantée et déploie les ressorts du grand orchestre, et le montage cinématographique avec ses bruitages, ses contraintes spatio-temporelles et ses scènes d'extérieur. La jeune fille au livre d' est un ouvrage lyrique mis en scène devant la caméra, celle du réalisateur Jean-Louis Comelli, une collaboration assez rare, en France du moins, qui semble bien inaugurer un genre nouveau.

Sur une idée lancée par le compositeur – un trafic d'œuvres d'art – Michel Beretti écrit une sorte de thriller (entre livret et scénario) qui raconte la relation amoureuse et toxique entre un peintre et son modèle. Un tableau représentant une jeune fille sensuelle, un livre rouge à la main, est au centre de l'intrigue. Présentée dans une galerie d'art, la toile est aussitôt vendue, très chère, à un vieil homme, éminence grise du trafic international de la drogue. Elle est volée dans des circonstances assez étranges puis ramenée à son propriétaire qui mesure dès lors l'importance que l'œuvre a prise dans sa vie, s'interrogeant, comme son entourage, sur la raison cachée du pouvoir qu'exerce cette peinture, sur lui qui ne s'est jamais intéressé à l'art…

fait chanter ses personnages en quatre langues, Saskia, le modèle du tableau est allemande, le vieil homme américain, la galeriste s'exprime en italien et le peintre ainsi que l'épouse du vieil homme en français. Le style vocal, toujours respectueux de la prosodie, oscille entre un parlé-chanté et des épanchements plus lyriques, souvent emmenés par des solos instrumentaux. L'orchestre, dans le montage du film, est malheureusement mis au second plan, au bénéfice des acteurs et des voix, minimisant l'importance de la trame symphonique, du rôle des timbres associés aux personnages et du travail du compositeur pour coller à la dramaturgie. Les chœurs et l'Orchestre de Montpellier que l'on aimerait entendre davantage sont sous la direction de .

L'image, les protagonistes et les voix n'en sont pas moins fascinants, maintenant l'attention en alerte durant les 75 minutes du film. L'intrigue flirte avec le fantastique – on pense au Portrait de Dorian Gray de Wilde – où le modèle du peintre finit par mourir dans des circonstances étranges que l'on a du mal à élucider.

Quant au casting, il est épatant, réunissant cinq chanteurs principaux dont les qualités vocales rejoignent celles de leur jeu de scène. , la galeriste italienne, est un soprano généreux, toujours dans l'élégance de l'élocution. Le baryton campe un vieil homme à la voix aussi sonore qu'antipathique. , sa femme Eva, arbore un soprano bien timbré mis au service d'un caractère bien trempé. La voix jeune et émouvante, éminemment straussienne, de /Saskia déploie une grande palette de timbres pour aborder toutes les facettes du personnage. Sa scène au bain, d'une beauté plastique – elle nous évoque Salomé -, est inoubliable, où elle vocalise à tue-tête pour envouter Le vieil homme qui mourra foudroyé : « J'ai rêvé d'une femme qui tenait la clé du secret », chante-t-il en la dévorant du regard. /le peintre Hugo Sierra est un baryton léger à l'élocution claire, personnage trouble lui-aussi, submergé par des instances qu'il ne peut contrôler.

Bien différent de l'opéra filmé, avec lequel il ne faut pas le confondre, le film-opéra, qui sort également l'ouvrage lyrique de sa maison dédiée, épouse le découpage cinématographique et nous plonge dans l'intrigue, entre réalisme des situations et artifice de la parole chantée. Le genre hybride s'avère une excellente manière de croiser les publics – cinéphiles et mélomanes/musiciens étaient au rendez-vous – en scellant une véritable rencontre entre l'image et la musique.

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