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Solution climatique à l’Opéra de Lyon : L’Arche de Noé

ne se doutait pas que son opéra pour tous, créé pendant les Trente Glorieuses, allait, un demi-siècle plus tard, servir d'étendard brandi par une génération soucieuse de l'état de la planète Terre, dans un beau geste scénique de .


L'Arche de Noé a été créé en l'église d'Orford au cours de l'édition 1958 du Festival d'Aldeburgh. Britten avait amendé de quelques hymnes (Kyrie, Alleluia…) le troisième des vingt-quatre Miracles joués au XVᵉ siècle dans la ville de Chester, pour un Déluge lyrique qu'il destinait à d'autres lieux que les maisons d'opéra. Message reçu par l'Opéra de Lyon délocalisé pour l'occasion au Théâtre de La Croix-Rousse.

Lorsque le spectateur pénètre dans la salle, c'est pour s'y faire admonester par la fureur d'un dieu juché au sommet d'une colonne bleue tutoyant le ciel. Rodomontades quant aux capacités infinies de l'être humain à souiller son propre lieu de vie, injonctions à presser l'installation de chacun,… on se laisse malmener par ce dieu croqué avec humour, auquel ne manque que l'auto-critique quant à sa propre responsabilité d'avoir façonné une créature aussi imparfaite. Durant ce prologue parlé sur fond de choral s'installe progressivement, autour du couple Noé, la jeune génération, dont l'immaculé vestimentaire se détache de la noirceur d'un fond de scène encadré d'arcade romanisantes, blanches elles aussi. Le bleu envahira une scénographie très soignée dans laquelle on reconnaît la patte friande de symbolisme, de , dont les spectacles vus à Aix comme à Nancy et Dijon avaient su capter l'œil et le cerveau.


Ainsi son Arche, qui, même absente, arbore un puissant pouvoir évocateur. Réduite au hublot d'un navire, cerclé d'un néon de lumière, c'est davantage une sorte de trou noir, que franchissent les humains (même la rechignante Madame Noé, pourtant du genre autruche devant la catastrophe annoncée) et bien sûr les animaux (au sixième sens plus aiguisé), ces derniers revus par le symbolisme cher à la metteuse en scène en créatures plus énigmatiques que figuratives. La traversée de cette bouche d'ombre habitée de menaçants fumigènes est la plus troublante des façons pour dire en image, plutôt qu'en mots assénés, la confrontation à l'inconnu d'un avenir incertain. Le jeu d'orgues, d'une hypnotique beauté, permet à de s'adonner à une poésie signifiante, qui va jusqu'à faire de la planète bleue la planète noire. Au final, le dieu du début, débordé par sa créature, se retrouve seul face à un globe terrestre dont il semble ne plus savoir que faire, et que, presque aussi joueur que Charlie Chaplin dans Le Dictateur, il envoie valser dans l'obscur cosmos.


Si l'on peut regretter le choix d'avoir tourné le dos à l'instrumentarium originel de ce bref opéra de 50 minutes, que son destin voyageur avait voulu minimal (dix instrumentistes, mais, donnée essentielle du style brittenien, une grande variété de timbres : cordes, flûte, piano, clochettes, orgue), on loue la musicalité des rescapés du naufrage musical : le piano de Grégory Kirche et les percussions de Gisèle David sous le geste maîtrisé de . Noé et son épouse sont confiés à des solistes professionnels (solides et ), le personnage principal restant, comme dans plus d'un opus du grand compositeur anglais, la voix d'enfant. La Maîtrise de l'Opéra de Lyon s'impose dans cet opéra ultra-mélodique et accessible dès la première approche, par sa justesse, la pureté du son, l'aisance scénique.

Toutes qualités déjà perceptibles lors d'une première partie de soirée consacrée à une autre œuvre du grand Benjamin (A Ceremony of Carols) jouée, comme les Mystères de jadis, sur le parvis du théâtre, autour de quelques braseros, sous quelques flocons de neige, dans le spartiate d'un plein-air aux allures de test climatique. Capes bleu roi, sceptres et couronnes dorées, autour de l'arche d'une crèche abritant la harpe solo (amplifiée) de Sara d'Amico, la quinzaine de jeunes chanteuses émérites quasi-autonomes de la jeune troupe, distribuant brioches et pommes, donnent, dans une chorégraphie assez complexe, une interprétation très enlevée de ce recueil de 1942 consacré à une naissance célèbre, que l'on pourra rétrospectivement, dans un tel contexte, prendre pour une renaissance.

Crédits photographiques: © Bertrand Stofleth

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