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Week-end Présences, quand l’aventure c’est l’aventure !

Quelles aventures partagent ou objectent des compositeurs contemporains, aventuriers par définition, mais nés à plusieurs décennies d'écart ? C'est la question posée ce week-end par les concerts bien différents du .

Samedi, 17h au Studio 104 : « Aventures et Nouvelles Aventures ». Pièce lente et diaphane, donnant beaucoup de place au silence, ainsi se déploie en quatre mouvements Photographies à trois (2022) de . Une grande attention a également été donnée aux timbres, puisque les chanteurs côtoient un piano et un clavecin tenus alternativement par Bianca Chillemi (également à la direction), un violon, un violoncelle, un cor, une clarinette basse, une flûte et des percussions. Des feuilles sont secouées ou claquées. On dirait qu'il ne se passe rien ou si peu, et c'est tant mieux : pourquoi la musique contemporaine devrait-elle toujours être frénétique ou spasmodique ? Un discret clavecin s'intègre merveilleusement dans cette musique silencieuse et cela fait du bien. Plus charnelle et variée apparaît la pièce Akrostichon-Wortspiel – Seven Clouds from Fairy Tales (1991-1993) d', qui s'inspire de l'univers merveilleux de Lewis Caroll. C'est l'imagination de l'enfance au pouvoir : sept mouvements bien différenciés, avec jeu sur les syllabes choisies aléatoirement, tour à tour lenteur et animation évoquant la course d'Alice dans le terrier, phrase musicale s'achevant en rire, grande théâtralité de l'interprétation. Mention spéciale pour la chanteuse Sophia Körber, très présente, très comédienne et à la voix de Reine de la nuit. Un pur régal. Anthos pour huit musiciens (2022) d' pourrait se résumer comme l'ensemble cohérent d'une énergie ne cessant d'évoluer, celle de la fleur (anthos en grec), une onde continue entre moments suspendus où se froissent des feuilles de plastique tandis que flotte un piano égrenant ses accords chromatiques, et moments plus tendus portés par les percussions. invite à un grand moment de théâtre avec ses Aventures et Nouvelles Aventures (1962-1965). Des phonèmes sont émis par les chanteurs Igor Bouin (formidable chanteur et comédien), , soprano, et , mezzo-soprano, tissant un opéra imaginaire où sont exprimées, sur le mode drolatique, les émotions en jeu dans les relations humaines. Humour, pastiche des conventions sociales, véhémence, loufoquerie, sens de la construction, musicalité… : Ligeti est bien vivant !

« Cosmigimmicks » dimanche à 14h30 à l'Auditorium : un concert placé sous le signe de la tournure répétitive de langage ou de comportement (gimmick). Pour son Passwords (2016), a imaginé une langue à partir des mots de passe qui prolifèrent dans notre quotidien de plus en plus sécurisé, mais polluent notre vie. Une pièce virtuose parfaitement maîtrisée par les cinq Neue Vocalsolisten. convoque un piano préparé, un violon, une harpe, une guitare, une mandoline et des percussions dans son morceau Cosmigimmicks (2011-2012). S'y reconnaissent l'énergie et le raffinement de la compositrice, entre chuchotis instrumentaux, vague qui enfle, arrêts brusques, rythme impitoyable de l'ensemble qui se désagrège dans un magnifique chaos, jeu arachnéen des cordes. De la très belle ouvrage ! donne deux pièces : My voice is my password (2020) et Songs of Spam (2019). Deux façons de pasticher notre vie envahie par la robotique, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux. L'énergie, l'humour et sans doute la légèreté de la jeunesse nous sauvent cette après-midi ! Changement absolu de densité atmosphérique avec le grave Jonah, Seven Chants pour trio vocal et ensemble (2022) de . Sept mouvements (tout ici semble symbole) baignant dans un climat religieux ou plutôt biblique pour évoquer la vie de Jonas, personnage célèbre surtout pour avoir habité l'estomac d'un gros poisson après avoir été jeté hors de son bateau par une tempête. Il s'agit vraiment d'une narration, ce qui donne tout son caractère solennel à l'œuvre, tout d'abord par les voix féminines recto tono que doublent en les amplifiant les instruments. Les mouvements 6 et 7 sont peut-être les plus émouvants, le premier, « Prayer », où la soprane Johanna Vargas et le saxophone soprano de Joël Versavaud évoluent à l'unisson ; le second, « Streetcar », où la voix soprano est soutenue par le cornet avec sourdine et la clarinette. Assurément, une très noble et belle pièce qui n'a pas été composée entre deux sms !

L'électronique s'invite dans le concert de 17 heures du 12 février, « ParaMetaString », ce qui crée un tout autre climat. Avec en particulier l'étonnant Double Bind? (2006-2007) d', où Reika Sato s'entretient avec son violon, devenu un méta-instrument, dans un aller-retour ludique entre sons naturels et sons artificiels. Pas de véritable narration, mais une série d'actions inscrites dans le changement. Double est donc aussi le lien ou la contrainte entre musique et théâtre, le son devenant geste et inversement. Double encore le balancement musique-bruit, la partie directe du violon étant aussi importante que sa métamorphose en sons très amplifiés. À souligner, la beauté des éclairages du Studio 104, ici un bleu profond baignant la violoniste et les panneaux muraux. Lycromorphie (2015/2022) de donne d'emblée l'impression que l'on a pris un train en marche dont on ne descendra qu'après avoir entendu la dernière note. C'est une course poursuite du violon, du violoncelle et du piano, que mènent de mains de maîtres Reika Sato, Yi Zhou et Arzhel Rouxel. Il y a quelque chose d'implacable dans cette très belle mécanique tourbillonnante qui multiplie les rythmes et parfois s'enraye. Synchronisés ou non, les timbres des trois instruments se combinent toujours avec bonheur. Autre interrogation sur notre perception de la temporalité avec dans L'oiseau dans le temps II (2022), où l'électronique est cet oiseau invisible qui étire dans le ciel l'instant produit par les instruments acoustiques (violon, violoncelle, piano, percussions). L'écriture très serrée de ParaMetaString (1996) d'Unsuk Chin, quatuor avec bande, développe une étude sur les sons du quatuor à cordes classique. Quatre mouvements : un « Allegro » fait de blocs de sons entendus alternativement mais qui créent imperceptiblement leur propre rythme ; un « Andante » combinant et variant lui aussi deux lignes : celle, aigüe, des harmoniques, et celle, obstinée, du violoncelle joué col legno ; un « Andantino » basé sur l'accord de quinte dans un écartement progressif du violoncelle allant vers le grave, tandis que montent les autres cordes ; enfin, un mouvement « Moderato-Allegro » reprenant le motif rythmique du premier mouvement, mais avec un incroyable effet de rebondissement repris, amplifié et réverbéré par les sons fixés sur support. Une œuvre attachante qui conclut heureusement ce concert.

Crédits photographiques : © Max Ruiz ; Neue Vocalsolisten © Sebastian Berger

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