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Un projet Enesco défendu avec enthousiasme par Nicolas Dautricourt et ses amis

et ses amis rendent un hommage vibrant à George Enesco, centré sur l'Octuor op. 7 au terme d'un programme patchwork sis dans la « banlieue » musicale du génial maître roumain.

Dans un très disert texte de présentation, augmenté de quelques capsules vidéos annexes disponibles via des liens QR-code, revient sur sa découverte voici huit ans, lors d'un festival sévillan, de l'Octuor (1899) de George Enesco. Au-delà du simple coup de foudre, après une étude analytique approfondie de l'œuvre, il décide de lui consacrer, en compagnie de fidèles amis chambristes, une série de concerts – donnés en Roumanie et en France – et de manière plus pérenne d'enregistrer le présent projet éditorial.

Toute la première partie du projet retrace le parcours bi(bli)ographique du jeune homme, débutant avec l'insignifiante Aubade pour trio à cordes et se veut évocation d'Enesco aussi par le biais des maîtres et mentors français (Massenet, Fauré), de ses amis (Ravel, Bartók, Ysaÿe) voire de son actuelle descendance (la plage « Mémoire déformée », signée George Ioan Păiș, courte partition lauréate d'un concours de composition créé pour l'occasion, et assez décalée esthétiquement, même si basée sur quelques éléments thématiques de l'Octuor).

Y alternent œuvres originales et adaptations pour ensemble de cordes à géométrie variable. L'on passe ainsi de la célébrissime Méditation extraite de Thaïs (1894) livrée sans mièvrerie mais avec panache en sa section centrale par Cécile Agator, à la Sonate pour violon seul n° 3 d'Ysaÿe (1923), dédiée à Enesco en gage d'amitié admirative, défendue avec un aplomb, une verve rapsodique et une belle sûreté d'archet par . Les deux interprètes unissent alors leur force avec une trépidante connivence pour trois des quarante-quatre duos pour violons de , épures stylistiques folklorisantes encore plus tardives (1931). Plus étonnante encore est la présence de l'Élégie de Fauré (le maître révéré), composée en 1880 soit avant même la naissance d'Enesco : vingt ans plus tard, au tournant du siècle, l'esthétique fauréenne aura radicalement changé. De surcroît, au fil de cette adaptation salonnarde (signée A. Lamarre), Benedict Klöcknet n'est pas toujours d'une irréprochable justesse d'intonation. Ravel est retenu pour sa célébrissime Pavane pour une infante défunte, contemporaine de l'octuor, donnée dans un arrangement assez sirupeux pour violon et quatuor à cordes : peut-être eût-il été préférable de transcrire pour la même formation sa sonate de jeunesse, en un mouvement, créée en marge du Conservatoire par Ravel lui-même au piano en compagnie d'Enesco au violon.

Cette mise en perspective est quelque peu biaisée : le versant viennois de la formation du jeune prodige roumain notamment auprès de Robert Fuchs est ici totalement ignoré. Car si l'Octuor est dédié à André Gedalge, maître ès contrepoint parisien, en signe d'allégeance et de respect, ses proliférations thématiques, son ambiance un rien décadente de serres chaudes, son inspiration à la fois populaire roumaine et aristocratiquement viennoise (le tempo di valse final, et son irrésistible grain de folie) renvoient délibérément à d'autres horizons musicaux. Ses proportions grandioses (près de 40 minutes d'un seul tenant), typiques de la Vienne fin-de-siècle, éloignées de toute concision française, permettent de formellement fusionner les concepts architecturaux d'une forme sonate géante et des quatre mouvements « classiques » ainsi enchaînés, à la manière du futur premier quatuor de Schönberg (opus …7 lui aussi).

L'octuor a connu depuis une dizaine d'années un renouvellement complet de sa discographie avec la parution de plusieurs versions essentielles (les quatuors Gringolts et Meta4 réunis chez Bis), ou deux octuors de solistes prestigieux convoqués tantôt par Christian Tetzlaff (avec entre autres Antje Weithaas, Isabelle Faust, Antoine Tamestit) capté en public chez Avi Music, tantôt par Vilde Frang (studio, en complément à un très sensible premier concerto de , avec Mikko Franck – Warner). La présente version, très honorable par son enthousiasme et sa spontanéité, est moins creusée dans son approche polyphonique et moins instrumentalement achevée : les voix médianes sont quelque peu sacrifiées, les sonorités individuelles moins concordantes, la longueur d'archet ou la coordination du vibrato moins unifiés, et çà et là la justesse d'intonation des premiers violons dans le registre suraigu est parfois prise en défaut. S'estompent les assises rythmiques du long exorde à l'unisson, un rien fébrile. On a connu ailleurs un scherzo (noté très fougueux) moins timide ou un final plus échevelé. En revanche, l'atmosphère moirée et lunaire, tout en sourdine du lentement (proche de la Nuit transfigurée exactement contemporaine) est admirablement rendue. Cette vision de ce singulier chef d'œuvre, certes aussi sympathique qu'habitée et très honorable, n'atteint donc pas tout à fait les mêmes sommets que ses illustres devancières.

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