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La Favorite à Bordeaux : version française et nouvelle production

La Favorite est l'un des opéras de Donizetti qui est habituellement plus connu par sa version italienne. C'est toutefois bien en français que l'œuvre a été pensée, tant par son livret calqué sur un sujet historique que sa construction qui obéit aux lois du style du Grand Opéra.

Connaissant un regain d'intérêt depuis quelques années, les versions originales sont désormais mises en scène dans un souci de véracité musicologique. C'est ainsi tout à l'honneur de l'Opéra national de Bordeaux de proposer l'entièreté de La favorite, en français comme lors de la création à Paris en 1840, avec le ballet in extenso (qui est généralement coupé). Ce spectacle fait suite à une série de représentations données fin 2022 à Bergame lors du Festival annuel consacré au compositeur bergamesque.

Le parti pris de la metteuse en scène, , est d'offrir une lecture à travers le souvenir de femmes âgées issues du même sérail que Léonor, la favorite. Elles attendent l'arrivée du Roi, depuis l'Ouverture, puis se cachent dans le décor avant d'être le sujet même du ballet. C'est toutefois assez déconcertant d'avoir un Divertissement de vingt minutes absolument non dansé et d'essence purement théâtrale. Alors que le poids de la religion est omniprésent dans le livret, et que la mise en scène est imprégnée d'une ambiance glaciale illustrant la rigueur des relations entre les personnages, le Divertissement confine au burlesque (le Roi se retrouve le visage couvert de baisers dispensées par les lèvres des favorites, habillées en tutu rose et violet, après qu'elles se sont jetées sur lui), rompant complètement avec le ton du reste de l'œuvre.

La mise en scène articule les espaces au moyen de parois ajourées soulignant l'enfermement dont sont victimes les personnages, que ce soit Léonor, le Roi ou bien Fernand. Cette évocation est assez efficace, doublée par la superposition de lits qui s'agencent de façon à former l'autel sur lequel trône une Vierge en majesté, assez oppressante au premier et au dernier acte.

Varduhi Abrahamyan étant annoncée souffrante, elle est remplacée, dans le rôle de Léonor, par qui faisait déjà partie de la distribution en Italie. La prononciation du français de la mezzo-soprano italienne est d'assez mauvaise qualité, bien qu'en progression au cours de la représentation. Cela est bien dommage étant donné la bonne diction de ses partenaires. Sa voix est puissante, manquant peut-être un peu d'assise dans les extrêmes (autant grave qu'aigu), mais au médium corsé et à l'engagement dramatique intense.

En Fernand, , dont on ne peut que redire l'admiration devant sa voix de soleil et le sourire permanent qu'il arbore, possède une capacité rare à maîtriser le temps dans ses airs, ralentissant avec intelligence un passage à souligner, allégeant le timbre jusque dans l'extrême aigu et nuançant avec délicatesse chacune de ses interventions. Il est compréhensible dans la moindre de ses phrases et la sincérité de son incarnation permet une caractérisation subtile de son rôle d'amoureux.

se confronte au rôle héroïque d'Alphonse XI avec un sérieux redoutable. Le placement de sa voix est proprement remarquable, même si l'ensemble du matériau mériterait d'attendre quelques années pour gagner une obscurité plus en adéquation avec le rôle. Il fait de ce Roi un monarque tout en puissance et en déclamation permanente, mais des colorations plus intimistes lui auraient permis de développer d'autres aspects non explorés ce soir (un homme amoureux, puis bafoué dans sa virilité).

Les seconds rôles sont bien appréhendés par une équipe française solide. est un Balthazar assez monolithique et austère, manquant peut être un peu de superbe dans l'Anathème et les scènes d'imprécation mais il est machiavélique dans les agissements avec Fernand. en Inès fait valoir une voix agréable.

A la direction de l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, accompagne admirablement les chanteurs, attentif à ne pas les couvrir et capable de grands effets dramatiques, comme à la fin de l'Acte II.

Cette série de représentations appelle avec envie la découverte de nouvelles mises en scène des grands opéras français romantiques du XIXᵉ siècle.

Crédit photographique : © Eric Bouloumié

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