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À L’Atelier Lyrique de Tourcoing, l’ensemble Correspondances et Les Arts Florissants

Fort déjà de la résidence des Ambassadeurs- La Grande Ecurie d'Alexis Kossenko et des Siècles de François-Xavier Roth, l'Atelier Lyrique de Tourcoing a accueilli, à quelques jours de distance, deux prestigieux ensembles français historiquement informés : d'une part, en grande formation, Correspondances de , dans des œuvres religieuses de Marc-Antoine Charpentier et, en disposition chambriste, de dressant un portrait très italianisant de Georg Friedrich Haendel.

Correspondances et dans Marc-Antoine Charpentier : la puissance et la grâce.

L'ensemble Correspondances propose le couplage devenu quasi traditionnel au disque de deux œuvres phares de Marc-Antoine Charpentier (la tardive et sublime Missa Assumpta est maria H.11 pour chœur à cinq voix, sertie d'un riche écrin instrumental et le célébrissime Te Deum H.416), enrichi de deux pages de dimensions plus modestes, mais somptueuses par leurs fastes expressifs : l'élévation Transfige dulcissime Jesu (motet H.251, rare mise en musique de la prière de Saint-Bonaventure, ce théologien du XIIIᵉ siècle), est glissée comme offertoire entre le Credo et le Sanctus de la Messe et, entre les deux grandes partitions maîtresses, le superbe Salve regina à trois chœurs H.24, surprenant par ses chromatismes et dissonances très suggestives (par exemple sur les mots in hac lacrimarum valle).

L'on connaît tant par le concert que par le disque les affinités électives de l'ensemble Correspondances fondé en 2009 par avec le répertoire baroque français et en particulier avec l'œuvre de Marc-Antoine Charpentier auquel il a consacré plusieurs disques. Une fois de plus, l'approche, aussi musicologiquement rigoureuse que suavement sensuelle, fait mouche, bien mise en valeur par la riche et agréable acoustique de l'Église Saint-Christophe et par la gestion de l'espace entre autres au fil du Salve regina.

L'expression demeure rigoureuse et concentrée tout au fil de la messe ; cette œuvre, héritière par certains aspects concertants d'une certaine Italianita tardive (composée entre 1697 et 1702 selon les sources, pour la Sainte-Chapelle de Paris et peut-être pour une rentrée parlementaire) offre une sorte de condensé stylistique ultime du maître, placé sous les auspices de la réunion des goûts, véritable somme polyphonique – tout sauf austère – sous l'apparat du chœur à la française à cinq (et parfois six) voix soutenu par un somptueux tapis de cordes à quatre parties, ce soir agrémentés des flûtes hautbois et basson. Sébastien Daucé laisse les huit solistes du chant s'exprimer depuis leur pupitre choral, une « masse » dont ceux-ci ne se détachent que ponctuellement à la manière d'un petit ensemble. Mais c'est avant tout la ferveur sans artifice, le fini de la réalisation tant vocale qu'instrumentale, l'hédonisme dans la savante conduite du discours qui séduisent, avec cet attachement à la plasticité globale comme à la rhétorique détaillée du texte au fil des pages les plus dramatiques (l'austère Cruxifixus), les plus jubilatoires comme le Resurrexit ou le Sanctus ou les plus intensément ferventes et pacifiées – tel le dernier Agnus Dei.

Le grand Te deum H.416 – composé une quinzaine d'années auparavant probablement pour l'église Saint-Louis des Jésuites – bénéficie de la même approche souple et ductile dès son célébrissime prélude en rondeau, dont par la fluidité des lignes et malgré une somptueuse entrée improvisée des timbales, l'on oublie presque la carrure martiale. Le fil rythmique de toute la partition passe davantage au second plan au profit d'une fine et riche exploration des canevas harmoniques les plus osés. Sébastien Daucé propose au fil des diverses sections, une mise en valeur très tranchée des oppositions de masse par la mise en perspective des volumes ; les solistes, cette fois parfois plus inégaux, pour leurs interventions plus développées et plus décisives, sont détachés de l'ensemble et prennent place au gré de la partition devant l'orchestre. Si la basse-taille autoritaire et mordorée de Réné Ramos Premier, la basse royale d', ou le haute-contre aérien de sont irréprochables d'engagement et de conviction, la soprano belge , à la voix très claire mais presque trop droite, nous apparait plus timide et légèrement en retrait, eu égard à ses collègues de pupitre diversement sollicitées au fil du programme (, Caroline Dangin Bardot ou ). Mais le tout est somptueusement supérieur à la somme des parties, et au terme de l'ultime péremptoire mais aussi très dansant « In te domine, speravi », l'ensemble reçoit une ovation mille fois méritée pour cette dernière étape de cette tournée Charpentier avant un nouveau projet Buxtehude.

en formation de chambre pour un inattendu programme Haendel.


L'on connaît la dilection de pour le répertoire baroque français. Installé dans l'Hexagone depuis plus de cinquante ans, et fondateur dès 1979 des Arts Florissants (au nom tiré d'un opéra allégorique de chambre, dû à… Marc-Antoine Charpentier), il a pourtant sondé bien d'autres répertoires de Monteverdi à Mozart, de Luigi Rossi à Georg Friedrich Haëndel. C'est à ce dernier qu'est consacré le concert de ce soir donné en effectif chambriste.

L'exploration du catalogue du Famoso Sassone proposé relève à la fois de la découverte et du bien connu au hasard des œuvres dues à un compositeur véritable champion du réemploi !

Deux sonates en trio – celle en si bémol HWV 388 et celle en ut mineur HWV 386a – sont ainsi livrées en lever de rideau puis en intermède. La première fut publiée dans l'opus 2 en 1733 et la seconde probablement composée vers 1718. Nous en disposons d'une copie par Pisendel, futur violoniste à la cour de Dresde à laquelle elle semble dédiée. Son thème liminaire est d'ailleurs très proche de Pergolèse et de l'école napolitaine. On le retrouve quasi tel quel d'ailleurs recyclé par Stravinsky dans son Pulcinella !

Les instrumentistes au vu de la défection en dernière minute d'Emmanuelle Resche souffrante, ont dû « glisser » de pupitre, mais et envoient effrontément du bois et rivalisent d'à-propos ou de gourmandise sonore au gré de ces joutes musicales très stylées. La présence d'un continuo aussi incisif (le violoncelle de Felix Knecht) que parfois nourri (l'alto attentif de , appelé donc en dernière minute et la contrebasse très impliquée de ) permet à d'étager les plans sonores, et, par un habile jeu de volumes, au gré du discours de conférer à ces œuvres sous d'autres archets parfois vite évaporées une perspective plus symphonique de concerti grossi miniatures.

La soprano Ana Vieira Leite, initialement prévue et bien habituée à ce programme a également annulé pour des raisons de santé, si bien que c'est la jeune soprano française , révélation absolue de ce concert, rompue à tous les répertoires, de Monteverdi à Britten, de J.S Bach à la création contemporaine, qui a relevé le défi de monter cet imposant programme vocal en un temps record, en compagnie de la mezzo-soprano israélienne Shakèd Bar, associée à cette production depuis sa première représentation vendéenne voici quatre ans. Le duo da camera «No, di voi non vo' fidarmi» HWV 388, composé au début de 1741 verra sa première section réutilisée telle quelle dans le grand et célébrissime chœur «For unto us a child is born» dans l'oratorio Le Messie exactement contemporain. Les deux artistes rivalisent de virtuosité au fil des vocalises kilométriques, et leurs timbres se marient à merveille.

La très vaste cantate scénique Aminta e Filidde HWV 83, de 33 ans antérieure, composée à Rome pour le marquis Ruspoli et l'Académie des Arcadiens – un groupe de lettrés réunis sous le patronage de la reine Christine de Suède – demeure une rareté au disque comme au concert, malgré le sentiment de familiarité immédiate qui s'en dégage : et pour cause, nombre d'airs seront réemployés quasi tels quels dans Rinaldo, Agrippina, voire la plus tardive Ode à Sainte-Cécile.

L'ensemble des huit musiciens et chanteurs sont sollicités, et nous livrent une irréprochable performance, surtout en regard des courts délais de répétition imparti au gré des circonstances. Les amours contrariées du berger Amintas (tenu splendidement ici par la soprano Julie Wichniewski, dont on admire le timbre clair, les phrasés subtilement pensés, et aussi les impressionnantes capacités vocales et respiratoires !) et le mépris puis les sentiments naissants de la nymphe Phyllis (Shakèd Bar, la voix aussi pulpeuse que séduisante par son homogénéité des registres) servent de prétextes à un chassé-croisé d'airs plus virtuoses ou plus expressifs les uns que les autres, dans toute une gamme d'émotion du désespoir à la colère, du mépris à l'amour triomphant. En l'absence délibérée de tout contexte scénique ou opératique, c'est aux instrumentistes de camper le décor au fil de ces vingt-deux numéros et quarante-cinq minutes de musique : ils sont ce soir assez irrésistibles d'effervescence et d'énergie, même au fil des plages plus lentes ou désespérées…

On peut compter sur le métier et la fine musicalité de William Christie, pour galvaniser ses troupes et être attentif aux détails les plus infimes de la réalisation. Devant le triomphe recueilli, ce dernier s'excuse presque de n'avoir pu, au vu des défections répétées et splendidement palliées, préparer un vrai bis, mais propose de reprendre – triomphalement – le pimpant duo final de la plantureuse cantate, donné après cette épreuve presque sans filet, avec une grâce décontractée et une audace féline encor davantage jubilatoire !

Ensemble Correspondaces à Tourcoing, Sébastien Daucé @ Victoire Andrieux ; William Christie @ Oscar Ortega ; Julia Wischniewki @ studio Ledroit-Perrin

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