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Bartók et Puccini, deux rendez-vous en une soirée à l’Opéra d’Athènes

De la tragédie sombre de l'unique opéra de à la légèreté comique à la façon « commedia dell'arte » du troisième volet du Trittico de , à l'Opéra national de Grèce, il n'y a qu'un entracte !


Le seul point commun du Château de Barbe-Bleue opus 11 et de Gianni Schicchi, c'est leur date de création : 1918. C'est tout et c'est tant mieux pour ce double rendez-vous en un soir, aux antipodes l'un de l'autre, que propose la maison lyrique grecque. Pour le premier opéra, c'est une nouvelle production qui est proposée : sublime, engagée, inventive. Pour le second, c'est la reprise de la mise en scène drolatique de John Fulliames : endiablée, amusante tout autant que grinçante.

De la psychologie freudienne…

 « L'œuvre fonctionne comme une anatomie symboliste d'une relation érotique et comme une descente dans la psyché énigmatique qui se cache à l'intérieur du mystérieux duc à la barbe bleue. » Par ces mots, le metteur en scène de la scène alternative hellénique mandaté pour cette nouvelle production, Themelis Glynatsis, souhaite concentrer son regard sur la nuit de noces des deux protagonistes, tous deux s'enfonçant au plus noir des ténèbres dans leurs souvenirs les plus refoulés, leurs traumatismes psychologiques inhibés, leur noirceur la plus profonde… Dès le prologue parlé, dont la déclamation est glaçante, le spectateur découvre le château labyrinthique représenté de manière symbolique par le décor impressionnant de Leslie Travers, où les suintements des murs jaillissent en une cascade d'eau prenant toute la largeur du plateau. La majestuosité du lieu se ressent sans pour autant se voir réellement, le chemin tortueux de cette heure de musique prenant sens à chaque mouvement des vingt et un figurants qui apparaissent dans chaque élément du décor (porte et coiffeuse en hauteur, escalier, fenêtre en contrebas, etc.) et donnant ainsi sens aux multiples propositions qui composent ce décor gigantesque. L'approche, comme la réalisation, particulièrement aboutie, transforme la magie d'un conte grâce à un regard contemporain pertinent et particulièrement captivant.


Chargés d'interpréter le couple, et , entendus sur la même scène dans des rôles secondaires encore récemment (Don Giovanni, Otello), évoluent dans une tension croissante perceptible dans l'absence de dialogue, la passion prenant le dessus sur le reste. Ils peuvent tout deux être considérés comme des interprètes de premier ordre pour cette œuvre après cette prestation mémorable. La basse de détient toute la noirceur nécessaire, puissante pour affirmer sans difficulté apparente son autorité face aux déferlements de l'orchestre, tout autant qu'aimante par ses murmures parfaitement maîtrisés. Le soprano de ne manque à aucun moment d'impact, l'interprète se jetant sans limite dans une interprétation viscérale et passionnée. Les aigus ne souffrant assez logiquement d'aucune entrave (avec le fameux contre-ut !), les graves sont aussi bien présents. Tous deux jouent avec merveille sur la musicalité de la langue hongroise et une folle puissance émotionnelle.

Avec un Orchestre de l'Opéra national de Grèce grandiloquent, met en lumière le pentatonisme de la Hongrie traditionnelle ayant inspiré le compositeur, grâce à une approche méticuleuse et un son épais. Il fait face aux ruptures de l'écriture dans une volupté sonore séduisante, laissant place sans aucune mesure aux plaintes des clarinettes, aux trémolos des cordes, aux cuivres guerriers, pour que l'ensemble dans sa diversité, ne fasse qu'un pour une vision psychologique de haut vol.

… à la commedia dell'arte !

Satire sociale grinçante où le serviteur astucieux berne des héritiers malhonnêtes, avec la complicité d'un public ce soir conquis, Gianni Schicchi se déploie avec la mise en scène populaire de John Fulljames créée au Théâtre Olympia en 2008.

Au regard du nombre de protagonistes sur scène et de l'intrigue menée tambour battant, la direction d'acteurs doit être particulièrement précise pour que tout ces rebondissements comiques ne se transforment pas en un joyeux brouhaha. Cette proposition atteint complètement cet objectif, jouant sur le petit décor d'une maisonnette tournoyant sur elle-même, en cohérence avec les entrées et sorties typiques du théâtre de vaudeville, et soutenue par la vive et efficace lecture du chef d'orchestre.

Des trois airs célèbres de cet opéra en un acte, commençons par celui de Rinuccio, « Firenze è come un albero fiorito » où le chant de se caractérise par une déclamation menée avec raffinement et un timbre séduisant. Pour Lauretta, reçoit une ovation méritée après son air « O moi babbino caro » tout comme en fin de soirée, la soprano recevant les applaudissements les larmes aux yeux. Sa fraîcheur, la conduite de sa ligne de chant et la richesse de ses couleurs font mouche et émeuvent. Enfin, donne vie à un grand Gianni Schicchi, fort de qualités théâtrales indéniables et d'une voix sonore de baryton pleine de mordant, notamment dans son air « Si corre dal notaio ».

Le reste de la distribution ne présentant aucune faiblesse, la cohérence d'ensemble est d'une efficacité remarquable pour que le spectateur puisse rire de bon cœur.

Crédits photographiques : © Andreas Simopoulos

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